Lorsqu’à l’issue du générique apparaît le mot « fin » et pour la dernière fois la mention « écrit et réalisé par Hayao Miyazaki », on ne peut s’empêcher de ressentir une émotion toute particulière. Le Maître du cinéma d’animation japonais a annoncé en septembre dernier sa retraite et Le vent se lève est son dernier film, une œuvre donc testamentaire qui clôt une filmographie vers laquelle on ne cessera de revenir comme on le fait déjà régulièrement, pour y visiter de nouveau ses univers poétiques et fantasmagoriques, y puiser ses visions issues de l’imaginaire de l’enfance qui nous ont tant marqués en tant que spectateurs. De Mon voisin Totoro à Princesse Mononoké, en passant par Le voyage de Chihiro, Hayao Miyazaki est de ces réalisateurs avec lesquels on entretient un lien très fort depuis Porco Rosso (1992), son premier film à avoir été diffusé en salles en France. Pour découvrir ses films, distribués tardivement et sans aucune logique chez nous – preuve d’un mépris a priori pour le genre -, il a ensuite fallu faire appel à l’import en se procurant des dvd japonais très coûteux, ou des coffrets bootlegs issus de masters Laserdics. Les choses ont heureusement changé, puisqu’Hayao Miyazaki est désormais justement considéré comme l’égal d’un Kurosawa, Ozu ou Naruse, y compris par la critique qui ignorait superbement tout de l’animation japonaise, qu’elle considérait sans aucune forme de hiérarchisation comme niaise et infantilisante.

Est-ce pour autant parce que Le vent se lève est son dernier film qu’il faut y voir l’œuvre la plus personnelle de l’auteur ? Peut-être. On sait que la mère de Miyazaki a souffert d’une tuberculose comme le personnage de Nahoko dans le film, et que son père produisait des pièces détachées pour le fameux chasseur Zero inventé par Jiro Horikoshi, dont Le vent se lève est la biographie. En même temps, l’absence de la mère malade remonte déjà à Mon Voisin Totoro et les machines volantes sont présentes dans toute sa filmographie, que ce soit Le château Ambulant, Le château dans le ciel ou Porco Rosso. Une chose est certaine, c’est que Le vent se lève est son film le plus « adulte », dans le sens où il évoque certains des événements les plus traumatiques du Japon de l’entre-deux guerres – le tremblement de terre de Kanto, la crise économique et bancaire, la guerre contre la Chine – sans pourtant les attaquer tout à fait frontalement, en les situant toujours dans la périphérie de l’histoire de Jiro, qui est myope et se réfugie dans le rêve pour y puiser son inspiration créatrice.

Cela ne veut pas dire que Hayao Miyazaki évite pour autant le contexte historique, mais il le fait à la façon d’un Ozu, tout en pudeur et en retenue, dans l’observation de la vie quotidienne qui n’exclut pas la pauvreté, la famine et la misère. Rarement le dessin n’aura saisi avec une telle beauté de précision et une pareille poésie les gestes de tous les jours – la façon de plier un kimono, de tenir et fumer une cigarette – les chargeant d’une valeur symbolique unique et particulière. C’est sidérant de beauté, nostalgique et assez bouleversant. Le personnage de Jiro Horikoshi traverse son époque derrière ses gros verres de lunettes qui symbolisent son rapport à la vie. Dans une scène magnifique, il travaille une nuit entière sur ses dessins en tenant la main de sa bien-aimée convalescente, qui l’autorise à fumer, consumant ses poumons malades. Jiro ne voit littéralement pas ce qui se passe autour de lui mais se concentre sur des petits détails, comme la courbe d’une arête de maquereau, qu’il veut imiter pour le fuselage de son avion. Il puise son inspiration dans le rêve où il rencontre son mentor, Giovanni Caproni, qui le guide dans sa carrière d’ingénieur.

Hayao Miyazaki ne verse cependant jamais dans la caricature de l’artiste maudit même si la création est aussi pour Jiro une forme de malédiction, ses avions ayant servi aux pilotes kamikazes au cours de la seconde guerre mondiale. Cela n’est pas non plus signifié explicitement, mais à travers une belle référence à Porco Rosso. Pas plus que la mort de Nahoko n’est montrée frontalement, mais suggérée de manière onirique et poétique. Si Le vent se lève emprunte ainsi au mélodrame, c’est dans le meilleur sens du terme, à la façon d’un Douglas Sirk, sans avoir recours à des procédés excessifs pour susciter l’émotion. C’est de toute manière la gorge serrée que l’on quitte la salle à la fin de cet ultime chef d’œuvre d’un Maître au sommet de son art, dont la puissance de vision et la force de l’imaginaire nous manquent déjà. Avec lequel on aurait voulu rêver encore un peu.

Note: ★★★★★

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