Malgré le bouche à oreille, les critiques élogieuses, les commentaires enthousiastes et la machine publicitaire en vitesse de pointe, on ne peut jamais affirmer sur l’instant qu’un album marque l’histoire. Combien d’artistes ont été acclamés un jour, pour des compositions qui ont fini par se perdre dans le temps ? Combien de chansons ont fini par nous donner l’envie de nous arracher les cheveux à force d’écoute alors qu’on aurait vendu notre âme pour la composer ? Et au contraire, combien d’artistes sont passés inaperçus alors que leurs compositions méritaient d’être portées au firmament de l’échelle musicale ? Combien d’albums n’ont rencontré qu’un succès d’estime pour finalement se retrouver au placard et faire la joie des fouineurs et des faiseurs de mode, vingt ans plus tard ?

En réalité, les albums qui marquent l’histoire ont besoin de plus que ça. Même si les goûts et les couleurs ne se discutent soi-disant pas, ce qui fait la grandeur d’un album, c’est sa capacité à marquer les esprits dans la durée. C’est le moment où chacun s’accorde à reconnaître qu’effectivement il y a eu un avant et un après. Et cela indépendamment des goûts musicaux de chacun. C’est reconnaître le talent. Et cela va bien au-delà du simple fait de marquer son temps. À ce petit jeu-là, les boys band ont marqué leur temps tout comme les chansons de l’été. Mais des albums comme le blanc des Beatles , London Calling des Clash, Disintegration de Cure, Homework de Daft Punk ou encore Is This It des Strokes ont chacun à leur façon contribué au renouvellement de la musique et continuent à être des références, bien des années plus tard.

Et dans le monde du post rock, il en est un qui aujourd’hui reçoit les honneurs d’une réédition : le 4 août prochain*, nous aurons le plaisir de retrouver le magnifique Come On Die Young des incontournables Mogwai accompagné d’une deuxième galette, compilation de chutes de studios et autres cachotteries ! Et on peut aujourd’hui, sans trop se tromper, considérer cet album comme un incontournable tant il a donné au post rock ses lettres de noblesse. C’est la pierre angulaire de toute l’œuvre de Mogwai et on sait combien elle est imposante aujourd’hui.

En 1999, il faut bien comprendre que Mogwai n’est alors qu’un jeune groupe dont la renommée est loin d’être aussi conséquente que celle de Radiohead, alors en pleine ébullition. Le post rock lui-même n’est pas forcément mis en avant. À vrai dire, on ne définit pas encore très bien le post rock… Utilisé pour la première fois en 1994 pour décrire la musique de Stereolab ou Tortoise, Mogwai va tout au long de sa carrière en définir les contours, tout en voulant s’en éloigner le plus possible !

Come On Die Young, affectueusement appelé Cody, va être le représentant le plus fameux de ce style musical. Mais cet album n’est pas simplement du post rock. Il dépasse sans aucun doute les étiquettes. Auréolé d’un premier album plutôt réussi, Mogwai va choisir de travailler avec le producteur Dave Friedmann qui a finalisé l’année précédente l’excellent Deserter’s Songs de Mercury Rev. Ce choix judicieux va forcer Mogwai à travailler longuement en amont sur leurs propres compositions, car leur budget ne leur permet pas d’avoir suffisamment de temps en studio. D’ailleurs, sur la réédition, il sera possible de voir la différence entre les chansons proposées avant et après le travail de production. On comprend alors d’autant plus l’importance que représente le choix du producteur. Stuart Braithwaite affirmera plus tard que Cody est l’album sur lequel le groupe aura fourni le plus de travail. Et grand bien leur en a pris ! Car Come On Die Young réalise un sans faute, mais ne trouvera pas cette reconnaissance qu’il a aujourd’hui : Rock Action deux ans plus tard réalisera de meilleures ventes.

Cody va mettre en place beaucoup plus de subtilités dans le style de Mogwai. Cette façon d’alterner le calme et la tempête va se révéler une marque de fabrique au point qu’on reprochera souvent par la suite aux écossais de s’auto-parodier. Cette fameuse ritournelle n’est ici pas si flagrante que cela, avec une première partie beaucoup plus douce se laissant prendre au fur et à mesure des chansons par une nervosité ambiante. Ce qu’il faut bien comprendre , semble-t-il, c’est que Come On Die Young n’est pas un album à mettre entre toutes les mains. Cette structuration qui va crescendo et qui vous prend aux tripes dès les premières notes pourrait faire ressortir les émotions les plus intenses chez n’importe quel gorille bourru ! Victor Hugo disait à l’époque « La vie n’est qu’une longue perte de tout ce qu’on aime » et Come On Die Young pourrait très bien être la bande originale de ce film.

Dès la première chanson l’album instaure un climat très intense et particulier. A l’époque il s’agit de quelque chose de fondamentalement nouveau, tranchant avec l’atmosphère ambiante. Avec pour simple instrument une guitare lente et mélodieuse, on entre dans un univers à la fois inquiétant et envoûtant. La voix d’Iggy Pop en fond, en train de définir ce qu’est pour lui le Punk Rock (qui donne son nom au titre) introduit là aussi un autre effet de style qui sera reconduit plusieurs fois par le groupe sur ses autres compositions.

Cody, l’acronyme donc, poursuit cette lente ballade, avec pour la seule fois dans l’album, la présence de voix chantée. Il faudra en profiter, car il s’agira sans doute du seul salut qu’on croisera dans cette épopée ! Helps Both Ways replongera rapidement dans les limbes envoûtantes et marque sans doute l’une des plus belles chansons jamais écrites par Mogwai.

Et c’est à partir de Year 2000 Non Compliant-Cardia que les choses se gâtent ! Jusqu’ici la nervosité s’était contenue, mais les fulgurances vont faire leur apparition. Montant en puissance petit-à-petit, on sent changer le cours des choses. Toujours aussi enivrantes, les mélodies se fond plus vigoureuses et il est inutile de résister, il est déjà trop tard. Kappa derrière arrive en lame de fond, reprenant tout ce qui était resté au passage et bousculant de façon plus vindicative et directe les émotions qui étaient resurgies aux prémices de l’album. Fragilisé par ces premières chansons, c’est maintenant le temps du lâcher-prise.

Heureusement, la merveilleuse Waltz For Aidan vient remettre de l’ordre dans tout ça, un peu comme le ferait Friends Of The Night dans l’excellent Mr Beast. Là aussi, Waltz For Aidan à elle seule justifie l’écoute de l’album, tant la beauté mélancolique qui s’en dégage détruit tout velléité de résistance. Et par la suite, un nouveau cap est franchi. Avec des chansons beaucoup plus longues, Mogwai réaffirme son caractère, en montrant sa volonté de réaliser de la musique et non pas le succès de l’année. Un choix judicieux, mais ô combien périlleux. Le finish de cet album reste époustouflant de justesse. Les chansons passent sans qu’on se rende compte qu’une heure s’est écoulée.

La superbe May Nothing But Happiness Come Through Your Door, nous fait largement penser aux longues plages lancinantes de Homesick des Cure. Difficile à interpréter, elle oscille entre espoir et résignation. La chanson livre là encore des mélodies des plus réussies et pratiquement imparables. Mais derrière la porte, visiblement, il n’y avait pas que du bonheur ! Avec Oh ! How The Dogs Stack Up, l’album bascule définitivement dans une zone plus obscure. Ce titre représente d’ailleurs une espèce d’introduction au trio magique qui refermera cet album. Ex Cowboy, une des chansons encore les plus appréciées en concert, va pousser les murs pour finalement laisser sortir cette colère contenue. L’alternance finalement naturelle entre la pleine puissance qu’on adore se prendre à la figure en concert et ces moments où l’on se demande au fond si ce n’est pas une autre chanson qui débute, montre toute la maîtrise que les Écossais possedaient déjà il y a maintenant quinze ans sur le son qu’ils se sont taillé sur mesure.

Mais Chocky suit directement le chaos laissé par Ex Cowboy. On croyait s’en être sorti, mais en fait le retour de ce piano inquiétant et de ce bourdonnement en fond laisse croire que ce n’est pas la fin. On pense sincèrement la chanson terminée lorsque le piano, plus apaisé, reprend les rênes et nous amène plus haut vers des terres plus sûres. Et c’est ce moment que choisit Christmas Step pour faire son apparition. Là aussi, l’une des chansons les plus appréciées des fans va clôturer cet album on ne peut mieux.

Avec son introduction parfaitement enchaînée à Chocky, Christmas Step finit littéralement par exploser à la figure des auditeurs au moment où l’on ne s’y attendait plus. Toute guitares sorties, elle expose en fin la véritable nature cachée de l’album. Il n’est plus question de se restreindre, de se retenir, non. La colère a pris le dessus et souhaite montrer son visage. Et c’est dans cette délivrance que pourra s’achever le voyage dans cet univers compliqué et intriguant. Il ne restera plus qu’à Punk Rock/Puff Daddy/and Chris de conclure, en reprenant la thématique introductive. Elle semble pour autant exprimer le réveil de l’auditeur, souffrant d’une terrible gueule de bois, de celles qu’on ne regrette pas tant on a réussi à y voir plus clair.

* Mogwai – Come on die young Reissue, est déjà disponible en CD et téléchargement digital et sortira en boxset 4LP le 4 août prochain. Précommande via Chemikal Undeground Records

Note: ★★★★★

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