Le Canada est depuis longtemps une place forte de la musique internationale (Neil Young, Leonard Cohen, Godspeed You! Black Emperor). On a cependant l’impression de découvrir ce vivier de talents musicaux.

Entre l’avènement d’Arcade Fire et de Drake dans leurs styles respectifs, ou l’émergence d’artistes qui ont encore beaucoup de choses à nous raconter, tels que Grimes, Mac Demarco ou Ought, le pays à la feuille d’érable est nourri par ce melting pot de genres, d’icônes populaires et de gourous des milieux indépendants, voire underground. Dans l’incroyable foisonnement de pépites qui naissent de par et d’autre de ce grand pays, est apparue une bande de quatre garçons provenant de Calgary, cité de verre érigée au milieu d’étendues forestières et montagneuses : Viet Cong. Derrière ce nom provocateur et péjoratif donné aux forces armées communistes du Sud Vietnam par les Américains pendant la triste Guerre du Vietnam, se cache un groupe de Post-Punk qui n’aurait jamais dû voir le jour. Un groupe né sur les cendres d’un autre, Women, prometteur, mais qui connut une fin « à la Oasis » après deux bons LP : une dispute violente entre les deux frères fondateurs Patrick et Matthew Flegel. Mais Women était aussi un groupe maudit, car en février 2012, le talentueux guitariste Chris Reimer décéda dans son sommeil. Matthew Flegel décide alors en 2013 de rappeler son acolyte batteur Michael Wallace ainsi que deux autres musiciens, Scott Monroe et Daniel Christensen, pour former un groupe dans l’urgence et partir en tournée tout l’été. Ce fut l’acte fondateur de Viet Cong qui sortit une cassette issue de cette série de concerts, justement nommée Cassette. Cette création dans l’urgence, la douleur de la perte d’un proche et donc dans la mort, hante la musique de Viet Cong qui reprend là où Women avait laissé ses auditeurs, avec un Post Punk mélancolique lorgnant parfois vers la Noise, tout en se laissant complètement baigner par la noirceur et la violence. Viet Cong tire de son patronyme un goût pour le chaos et les stridences sonores, comme des bombes de phosphate destructrices et des tirs meurtriers au milieu d’un théâtre de l’horreur humaine. A l’écoute de Cassette, on assistait à la création d’un groupe qui montrait explicitement ces références, des Dead Kennedys à Joy Division en passant pas The Sound ou Sonic Youth. On était fasciné par le chant anachronique de Matthew Flegel, le soin apporté aux compositions et à leurs renversements, notamment grâce à un synthé.

La sortie en octobre 2014 du single Continental Shelf, son magnifique clip et l’annonce de la sortie d’un premier LP éponyme pour début 2015 fut une véritable bombe. Le groupe s’éloignait de plus en plus du spectre de Women, faisait appel à de nouvelles références (le Goth de Bauhaus en première ligne) tout en s’affirmant comme entité propre. Leur premier album confirme ce sentiment, cette impression de voir un groupe encore en pleine naissance, qui se cherche, fait état de tout son talent tout en laissant présager du meilleur pour la suite. Si Viet Cong parait partir parfois dans tous les sens, il n’en garde pas moins une base morbide, une atmosphère intense de mort et de mystère, comme si le groupe jouait derrière un épais voile de fumée depuis l’outre-tombe. Les guitares paraissent désaccordées, à l’agonie, la batterie étouffée, la basse menaçante, le synthé très rétro et froid rappelle évidemment la Cold Wave de la fin des années 1970, tandis que la voix de Matthew Flegel ravive le souvenir d’autres chanteurs-fantômes – ou chanteurs-vampires -, comme Peter Murphy de Bauhaus ou un autre Peter, Christopherson, le co-leader du mythique Coil. Les paroles très ambigues de chaque morceau accentuent évidemment l’obscurité dans laquelle semble régner Viet Cong.

Chaque titre est une expérience de noirceur à vivre. Dès les premiers titres, on navigue d‘un monde ténébreux à un autre. Newspaper Spoons, qui introduit l’album, plonge l’auditeur dans une sorte de marche funèbre où la batterie martelante parait se muer en une avancée bruyante d’une armée de démons guidés par le chant torturé de Matthew Flegel. Mais curieusement, on semble entrevoir la lumière lorsque cette cacophonie laisse place à des notes de synthés éthérées et aériennes, faisant décoller la musique de sa lourdeur machinique. Pointless Experience ressemble d’avantage à une chanson et déjà s’affirme le goût du groupe pour les renversements. Emmenée par son rythme de basse endiablée et son riff de guitare tranchant, la musique cède le pas en son cœur à une interlude électronique où domine un son grave envahissant. March Of Progress est elle littéralement scindée en deux : d’une part une plage expérimentale et industrielle de 3 minutes où ne résonnent qu’une boucle de percussion et un synthé angoissant ; de l’autre un titre tout en décollage orgasmique où le rythme robotique des guitares et de la batterie se métamorphosent en quelque chose de plus humain et de plus rapide à mesure que le chant devient effréné.

En trois morceaux, Viet Cong semble déjà avoir fait du chemin par rapport à 2013. Les compositions se complexifient et s’enrichissent sans devenir ennuyeuses – même si on peut reprocher parfois quelques longueurs. Des titres comme Bunker Buster, Continental Shelf et Silhouettes mènent l’auditeur dans un dédale de riffs, d’arpèges, de fûts martelés, de cymbales cinglantes et l’introduction d’un synthé ne fait pas office de simple gadget, mais de véritable plus-value musicale. Ce n’est pas un hasard si le groupe définit sa musique comme du « Post Punk labyrinthique ». Bunker Buster affiche un groove imparable qui l’affirme comme un pur titre rock. Silhouettes s’épanche d’avantage dans la légèreté de la British New Wave et la rapidité soutenue du Punk. Enfin, Continental Shelf est un véritable chef d’œuvre indescriptible où Viet Cong sait se faire angoissant, asphyxiant et puissant dans les couplets, avant de dérouter complètement avec son refrain proche de la New Wave nostalgique de Echo And The Bunnymen. Même en puisant dans un son volontairement rétro, le quatuor esquive parfaitement l’étiquette de groupe revival qu’on pourrait lui coller, en apportant une personnalité unique.

Finalement, le morceau le plus personnel de ce premier opus serait peut être à trouver dans la dernière chanson, Death. Véritable hommage à Chris Reimer, ami disparu, ce morceau de clôture illustre mieux que tout autre l’atmosphère labyrinthique de la musique de Viet Cong, et pas seulement parce qu’il fait plus de 11 minutes. Chef d’œuvre monumental, Death nous fait passer d’une mélancolie larmoyante à la fureur du punk, puis Viet Cong nous noie dans un dédale dissonant de torpeur électrique avant de nous faire sortir la tête de l’eau avec un final renversant d’urgence mélodique. Cette dernière partie élève le morceau comme une sorte de manifeste de la musique de Viet Cong, toujours en prise avec la mort, qui accompagne tous les membres du groupe. S’il en ressort un incroyable sentiment de vie à travers l’emballement soudain des instruments et la fièvre qui semble gouverner le chant de Matthew Flegel, le groupe nous rappelle que la mort est un fait immuable, insurmontable. le We will never get old (nous ne deviendrons jamais vieux) scandé et répété par Flegel à l’infini évoque tout autant le destin tragique de Chris Reimer mort à 26 ans, qu’une énergie juvénile possédée par le sentiment de ne jamais se laisser abattre par le poids oppressant de l’ordre établi, et donc de la mort, finalité de toute vie. Titre ambivalent, tout autant que la musique de Viet Cong, Death est surtout – et déjà – le titre emblématique d’un groupe plein de promesses, et qui offre la première grosse claque de 2015. Merci !

Viet Cong – Viet Cong (Jag Jaguwar)

Note: ★★★★☆

viet cong cover

partager cet article