En cette année 2015, le Pitchfork Music Festival fêtait ses 5 ans ! Et pour marquer le coup, les programmateurs avaient décidé d’inviter du 29 au 31 octobre à la Grande Halle de la Villette une flopée de groupes estampillés Pitchfork. Le géant de la revue électronique indépendante – une labellisation désuète puisqu’il a été récemment racheté par le groupe Condé Nast – s’est fait progressivement un nom à la fin des années 90 et début 2000 en promouvant notamment des jeunes artistes underground, peu connus du grand public. Arcade Fire, Bon Iver ou encore Beach House et Deerhunter doivent une partie de leur renommée aux excellentes critiques que le site musical leur a donnée.

Tournant à plus d’un million de visiteurs chaque semaine, c’est peu dire qu’aujourd’hui Pitchfork est un webzine qui compte. Certains même osant la comparaison avec le Rolling Stone Magazine des débuts. Espérons pour eux qu’ils ne se banalisent pas comme leurs aînés. Mais pourquoi organiser son festival à Paris ? S’il existe une version nettement plus gigantesque du même événement ayant lieu chaque année à Chicago depuis maintenant dix ans, Paris est devenue une ville de choix pour son pendant européen : les Français étant les premiers consommateurs des articles de Pitchfork hors pays anglophones.

Il semblerait que les programmateurs ont eu le nez fin en organisant les différentes journées : chaque date mêlait des groupes à l’esthétique proche, aux tonalités similaires. En ce jeudi 29 octobre, le line up rassemblait sept groupes évoluant dans des territoires Indie Rock, voire Art Rock. Des inconnus Haelos au mastodonte Beach House, les concerts firent preuve d’une cohérence stylistique extraordinaire, tout en laissant chaque groupe apporter sa magie propre. A un ratage près (Ariel Pink), la soirée fut envoûtante, enivrante, avec l’enchaînement Godspeed You! Black Emperor – Deerhunter – Beach House en apothéose.

Si Haelos fit office de parfaite mise en bouche avec sa Pop chatoyante, arty et aux accents électroniques et menée par un duo vocal homme – femme céleste, la véritable surprise fut Kirin J. Callinan. Cet Australien fou furieux incarna ce que Ariel Pink n’aura pas réussi à être ce soir-là, une rockstar écorchée et délirante. Son Rock loufoque teinté de Disco, de Punk voire de Metal étonna et en fit danser quelques uns. Mais c’est surtout le charisme du chanteur, proche d’un Mike Patton aussi bien vocalement que scéniquement, qui convainquit le public jusqu’ici un peu austère.

Le dernier album de Destroyer, Poison Season avait quelque peu déçu par son manque d’audace et son côté légèrement réchauffé, malgré la toujours grande beauté des compositions et un Time Square aux allures de rafraîchissante comédie musicale de Broadway. Il en alla finalement de même pour le show de Dan Béjar accompagné de sa troupe de musiciens immensément talentueux. Intimiste, comme une confession, le chant du leader berça les auditeurs le temps d’une heure de concert onirique. Mais c’est finalement sur les géniales Kaputt et Chinatown et leur structure bigarrée qu’il brisa cette légère monotonie et suspendit, le temps de quelques minutes, toute la salle dans les airs.

La déception de la soirée revint donc à Ariel Pink et son show quasi inaudible. La faute à un son mal préparé et à un blondinet leader tout sauf charismatique. Terré dans son pull rose trop large, il passa la majeure partie du concert à faire des signes aux ingénieurs son pour qu’ils haussent le volume de son micro. En vain, son chant fut noyé dans les nappes sonores beaucoup trop fortes des autres musiciens. On appréciera tout de même l’incroyable énergie du bassiste. On attendra sans fin pendant une heure que le live s’emballe et que la folie du Dandy américain nous emporte avec lui. Quelques tubes furent pourtant reconnaissables, mais un arrière goût amer restait en bouche. Un échec.

Après ce mauvais moment, la crainte était que cela se reproduise lors des concerts suivants. Mais au contraire, le Pitchfork Music Festival régala son public de trois shows tous plus mémorables, l’un après l’autre. Godspeed You ! Black Emperor ouvrit calmement le bal avec son Drone ambiant et hypnotique. Parqués en demi cercle face aux spectateurs avec en arrière plan un grand écran faisant défiler des images symboliques et militantes, les musiciens jouèrent l’intégralité de leur dernier opus en date, Asunder, Sweet and Other Distress. Œuvre la plus lourde de leur discographie, elle fournit quelques moments épiques en live, proche d’un Earth des grands soirs. Deerhunter eut droit à un set plus court mais cela ne fut point dérangeant tant il livra le set le plus énergique de la journée, inspirant notamment quelques mouvements de foules inattendus. Jouant un répertoire issu des différents trésors de sa carrière, avec – Ô joie – un Monomania en retrait, le groupe acquit tout le monde à sa cause. Avec un son plus Rock et Garage que sur disque, Bradford Cox et sa troupe s’improvisèrent comme des Rolling Stones psychédéliques. Les tubes Helicopter, Desire Lines et Livin My Life résonneront longtemps encore dans la tête des auditeurs.

En clou du spectacle, les programmateurs nous avait réservé un live de plus d’une heure trente de Beach House. Les New-yorkais revenaient avec non pas un, mais deux albums sortis en l’espace de deux mois cette année. L’occasion de rallonger le plus possible la setlist. Victoria Legrand et Alex Scally livrèrent le concert le plus carré et planant du « Jour 1 », avec un son frôlant la perfection, oscillant entre clarté cristalline et saturation Shoegaze. C’est justement les morceaux les plus puissants, notamment le récent Sparks et les titres issus de Bloom, qui apportèrent la « folie » qui manquait quelque peu au groupe. Mais le charme du français de la nièce de Michel Legrand, la scénographie sobre et les myriades de sonorités Dream Pop firent entrer la salle dans un univers cosmique où chaque être chantait, dansait, volait. Minuit passé, l’heure de repartir chez soi les yeux pleins d’étoiles avant un Jour 2 nettement plus expérimental et étrange.

P.S. : Hommage à toutes les victimes de la violence humaine à travers le monde et plus récemment à celles des attentats du 13 novembre 2015 à Paris. On ne devrait pas mourir pour avoir voulu s’amuser, aimer, profiter, danser, chanter, vivre ! L’art et en particulier la musique sont plus forts que cette indicible horreur. Les concerts doivent se poursuivre. Résistons ! Vive l’art, la culture et la musique ! Vive la vie !

Note: ★★★½☆

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