Recommencer (encore)

Matthew Flegel et Mike Wallace vont finir par croire qu’ils sont maudits. Les ex-bassiste/chanteur et batteur de Women en sont déjà à leur troisième nouveau départ. Women justement avait connu un destin tragique, avec une rixe entre les deux frères Flegel pendant un concert façon Oasis et surtout, la mort dans son sommeil du guitariste Christopher Reimer âgé d’à peine 26 ans (apparemment des complications cardiaques). De ce drame, Viet Cong s’est formé – cependant sans le deuxième frère Flegel – et a vu s’ajouter deux guitaristes talentueux, Scott Munro et Daniel Christiansen. Pourtant, malgré un premier opus éponyme prometteur, il s’agira finalement d’un faux départ. Heureusement, aucune séparation ou funeste nouvelle, simplement un contentieux autour du nom choisi. « Vietcong » étant le surnom péjoratif donné aux sud-vietnamiens dissidents par les Américains pendant la fameuse guerre qui inspira mouvements contestataires et chefs-d’œuvre filmiques. Encore une fois, Flegel et Wallace devaient recommencer. Une malédiction, mais aussi, peut être, une chance. Troisième album éponyme de l’ex-duo de Women, Preoccupations – qui est donc officiellement le nouveau nom de Viet Cong – s’inscrit dans un double mouvement de continuité et de rupture. Continuité, car on retrouve le Post-Punk labyrinthique de Viet Cong, son univers dépressif et angoissé. Rupture, car Preoccupations assume définitivement son penchant pour les sonorités plus Pop et synthétique de la Cold Wave et de la New Wave.

Moins Rock que la précédente oeuvre du quatuor canadien, cet album délaisse peu à peu l’attitude Punk de Bunker Buster ou de Death pour des mondes sonores plus alambiqués, plus Post-Punk. L’exemple est à trouver dans le titre central, Memory qui reprend la forme à tiroirs et épique de Death et ses onze minutes, pour mieux offrir un monument d’expérimentations. Toujours à contre-temps, Memory est une ballade désenchantée où la basse prend la mesure du rythme et laisse des miettes d’arpèges aux – jolies – guitares. Le chant torturé de Flegel se noie sous l’ambiance sonore. On ne sait jamais réellement où se trouve le refrain et lorsqu’on pense enfin le saisir, le titre nous embarque au coeur des années 80, dans une Pop un rien gothique entre Bauhaus et New Order. Christiansen prend le micro et ses vocalises rappellent justement celles de Bernard Summer (chanteur de New Order), avant de laisser place à Dan Boeckner, de Wolf Parade. Le final est sublime et le chant décolle enfin avant de s’évanouir soudainement. La chanson n’est pourtant pas terminée et étire son agonie sur plus de quatre minutes, comme si les musiciens avaient choisi de laisser leurs instruments lâcher leur dernier râle dans un Drone quasi-bruitiste rappelant les grands Earth, voire Swans.

Memory est certainement le morceau le plus audacieux de ce Preoccupations et ce n’est pas un hasard s’il se trouve planté en son centre. Il rayonne sur tous les autres titres, comme s’ils n’étaient qu’une partie de ce tout. En nait aussi une certaine inégalité, car si certains sont tout bonnement brillants (Anxiety, Fever), d’autres passionnent moins, ou n’apparaissent que comme de jolies resucées des influences du groupe (Degraded, Monotony). Mais rien est à jeter et on peut s’étonner de la performance vocale de Monotony où Flegel s’essaie dans les aigus, lui conférant une voix fantomatique ou admirer le travail de copiste de Preoccupations se muant en parfaite réplique de Bauhaus sur Degraded. Stimulation fait le même effet et rappelle très justement les premières œuvres de The Cure – pré-Goth – tout en ravivant la fièvre punk du précédent opus (ce que faisait déjà Zodiac dans un élan plus noisy).

Anxiety et Fever, placés en début et en fin d’album, sont honnêtement les titres qui s’approchent le plus de l’idée du tube façon Flegel et consorts. Si la première et son caractère massif (tempo martial, basse ronronnante, guitares saturées, refrain ravageur) rappellent le chef d’oeuvre de Viet Cong, Continental Shelf, la seconde est un bijou entre New Wave et Post Punk qui contient des synthétiseurs catchys et même un solo de guitare doucement rétro et kitsch – avec pédale Wah-wah ! Belle idée que de clôturer l’album sur un tel titre tant il marque la véritable rupture avec le passé de chacun des membres. Les dernières phrases, répétées à l’infini (« You’re not scared/Carry your fever away from here ») amorcent même un changement de ton, moins froid et torturé que sur le reste de l’album.

Sans arriver à être supérieur à Viet Cong, Preoccupations marque enfin le premier vrai départ du groupe. S’il parait plus hanté par ses modèles, cet opus se fait néanmoins plus clair sur les motivations de Preoccupations, son projet musical, ses obsessions. Il fait surtout preuve d’une hétérogénéité brisant la Monotony de son prédécesseur et annonçant des œuvres que l’on espère plus personnelles et ambitieuses.

Note: ★★★½☆

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