Chapelle du couvent des Récollets, samedi 3 septembre

 

Il y avait de quoi s’inquiéter en lisant la note d’intention du quatrième album studio de Camille. Elle y parlait d’« un disque anachronique (…). Au Moyen Age, les femmes écrivaient des chansons en attendant, du haut de leur tour, leur mari parti en croisade. Moi-même enceinte, j’ai écrit ce disque en attendant mon enfant ».

Il y avait de quoi redouter un peu plus l’exercice narcissique en découvrant les paroles d’« Aujourd’hui ». Le premier morceau de l’album, scandé a capella, dans la rue, par une Camille à bout de souffle laissait peu de doute sur l’état d’esprit de la chanteuse : Aujourd’hui / c’est le plus beau jour / c’est la plus belle vie / c’est le plus grand amour / sur la plus belle planète / (…) / Aujourd’hui / c’est le plus beau moment / c’est le plus beau bébé / c’est la plus belle maman / sur la plus belle planète.

Le titre de l’album « Ilo Veyou » ne rassurait pas davantage. Pas plus que les premières écoutes, pas franchement convaincantes. Camille avait-elle « Tout Dit », comme semblait l’admettre de manière prémonitoire le somptueux dernier morceau du disque ?

Après « Le Sac des Filles », « Le Fil » et « Music Hole », « Ilo Veyou » serait l’album de trop ? Trop de complaisance ? Trop de vie privée ? Trop de facilité ?

Puis, tout pris sens. Un couvent en face de la Gare de l’Est, à Paris. Une chapelle aux vielles pierres abîmées, aux murs délavés qui rappellent l’Italie et le charme des Bouffes du Nord, le dernier endroit où l’on aperçut la Belle, avant même qu’elle ne songe à ce bébé et à ce disque. Dans ce lieu magique et improbable, accueillis en silence par une petite centaine d’incrédules, Camille Dalmais et Clément Ducol. Une chanteuse libre, qui semble chanter sans micro et voler sur scène. Le père de son enfant, qui ne le dit pas, au piano préparé et à la guitare. Martin Gamet au violoncelle et Christelle Lassort qui donne la mesure avec les pizzicati de son violon. Pour tout éclairage une grosse ampoule qui danse, qui fait jaillir des ombres chinoises, qui monte, qui descend et dont l’intensité varie avec le rythme des morceaux.

Et des frissons, pendant une heure et quart, rappellent enfin l’évidence qu’un peu vite on avait oubliée : Camille n’est pas seulement une chanteuse, c’est une artiste absolue.

Une fille assez folle pour faire valider son premier album comme son projet de fin d’étude à Sciences Po. Une chanteuse à la voix pure qui pourrait facilement enchainer les tubes, les récompenses vite acquises, les Zénith et la gloire de pacotille. « Quand je chante, je chante nue » promettait-elle dans un des plus beaux morceaux du « Fil ». Elle le fait presque littéralement au couvent des Recollets et dans « Ilo Veyou». Elle s’offre sans artifice.

Et si, au lieu de servir le dytique classique « nouvel album, nouvelle tournée », Camille le faisait voler en éclat ? Et si cette performance, puisqu’il ne s’agit pas tant d’un concert que d’une expérience, était première et qu’Ilo Veyou en était la bande son ? Brute. Belle. Et sans concession.

Les disques essentiels sont ceux qui se sont fait désirer, ceux qu’on tarde à aimer, à s’approprier. Ce sera sans doute le destin de celui-ci, qui se mérite et ne se déguste pleinement qu’après avoir vécu un moment avec la troupe.

Alors, oui, on pourra regretter une certaine rugosité des arrangements et des mélodies. Quelques morceaux moins forts sur les seize nouveaux titres. Et une proposition si ambitieuse que ceux qui n’auront pas la chance de la vivre sur une si petite scène, dans un lieu si splendide, ne la gouteront pas entièrement. C’est une faiblesse et une force à la fois, le prix à payer pour apprécier un projet de cette envergure. Camille n’a besoin de rien d’autre que d’une simple ampoule pour briller, émouvoir, secouer et donner du plaisir. Elle le revendique d’ailleurs à sa manière, crûment et joyeusement, dans « Pleasure : « je suis si peuélectricienne / un fruit juteux / et je jouis à l’ancienne »…

Pas besoin d’artifice, donc. Mais des idées, du travail, de l’exigence et des silences dans la mise en scène. Une voix inouïe, souple, qui balaye les octaves et les doutes. Et un panache certain, une dose d’inconscience aussi, pour ce qui relève presque du suicide commercial. Non, Camille n’a pas « Tout dit »…

Ilo Veyou

EMI

Sortie le 17/10/2011

En tournée européenne

Note: ★★★★☆

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