Mercredi soir, casino, île du Ramier. Entre un arc de rocade et un bras de Garonne, dans les confins du Beau bizarre, c’est sans doute Cupidon en personne qui, sous les traits de Daniel Bevilacqua, chanteur de charme, dandy givré, déchirait son carquois et entreprenait son public à coups de flèches savamment croonées, piano à queue et techno yéyé. Beaucoup de monde, peut-être mû par les premières vibrations de l’amour bleuté, avait pris la peine de se déplacer pour écouter une nouvelle fois l’ange blond et pour découvrir, comme dit Bayon, le fameux chaînon manquant elvisien entre Adamo et Vega via Juvet.

Succès fou garanti avec look rock’n’roll et tubes variétés ? La formule paraît si simple, si éculée. Pourtant Christophe, tout en restant respectueux de son public varié, a su faire un incroyable crossover et embarquer avec lui une salle comble, des fans parcourant trois générations, et suspendre le théâtre Barrière quelque part dans le ciel près de deux heures durant, entre plages de pur onirisme et tonnerres d’applaudissements – un tour de chant intitulé Intime et qu’il mène d’ailleurs sur scène en solo en alternant les passages aux synthés, à la guitare ou au piano. Entre standards du répertoire et doux délires expérimentaux, la nuit a fait la part belle aux ambiances décalées : les incontournables paradis perdus et mots bleus revisités de façon inédite, une ode à Enzo Ferrari version futurisme italien avec électronique millésimée saturée de rouge ou encore une fantastique reprise techno, tendance Martin Rev, de La petite fille du troisième.

Quarante titres de son répertoire sont écrits sur autant de cartes postales. Avant chaque concert, Christophe en tire vingt-cinq au hasard et les joue le soir même. Le chanteur, à près de soixante-dix ans, cultive toujours l’audace et l’aventure. Si on devait définir le style de la tournée, on dirait le travail sans filet. Extrait : au détour d’une chanson, Christophe se confie au public et avoue qu’il s’est réellement mis au piano depuis à peine deux ans. Il dit que les instrumentistes qui sont dans la salle entendront certainement ses failles techniques mais que, lui, il trouve passionnant de les exploiter. S’ensuivent d’incroyables reprises du Dernier des Bevilacqua et du Petit gars. Sur la seconde, il mêle nappes de sons synthétiques, impro au piano et solo d’harmonica à la fois blues et bruitiste tout en scandant des love love love de sa voix fluo. Pilote de clavier. Frissons du crash. Concertiste cherche embardée blue rider pour carambolage romantico-destroy.

Seul sur scène et deux heures de concert, deux heures entrecoupées d’échanges avec le public, d’anecdotes et d’ironies sur le permis à points, les voyages en TGV ou des prototypes de fauteuils à roulettes. De quoi ravir les inconditionnels d’Aline et les amoureux d’électro éthérée. Un tour de chant et aussi, l’air de rien, un tour de force. Tout simplement magique.

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