Encore un retour d’anciennes gloires pour débuter cette année 2015. D’accord, on commence à avoir l’habitude de ce type d’initiatives plus (Swans, My Bloody Valentine, etc.) ou moins (Pixies, Metallica, etc.) réussies de la part de groupes au passé brillant. Néanmoins, le retour de Sleater-Kinney paraît d’avantage logique et tombe à point nommé. Tout d’abord, en tant qu’auditeurs français cela nous permettra – peut-être – de découvrir l’un des meilleurs groupes de Rock des vingt dernières années. Car si le trio composé uniquement de femmes a un statut de légende aux États-Unis, force est de constater que si on traverse l’Atlantique, il ne devient plus qu’un nom rigolo pour le public français. Il serait vraiment sage de réécouter l’œuvre si essentielle de Corin Tucker, Carrie Brownstein et Janet Weiss, en premier lieu parce qu’elle est l’incroyable preuve que les femmes ont le Rock et le Punk dans le sang, sur la lignée des grandes femmes du genre (de Janis Joplin à PJ Harvey en passant par Patti Smith et Kim Gordon, de Sonic Youth), et ensuite parce qu’elles sont la preuve que le minimalisme des moyens (double chant et double guitares qu’elles revendiquaient dans l’hymne Words and Guitars, en 1997, et sans oublier la batterie) n’empêche en rien de composer de grands albums. De la fureur du Riot Grrrl des débuts (ce Punk/Rock féministe apparu à la fin des 80’s) à l’apparition de mélodies plus soignées dans le sommet Dig Me Out sorti en 1997, puis un certain virage plus Rock et Alternatif à l’aube des années 2000 qui se termina sur le chef d’oeuvre The Woods en 2005, le groupe était peu à peu devenu le porte étendard de la femme contestataire et émancipatrice qui refuse de se plier au patriarcat. C’est aussi en cela que leur renaissance parait logique, 10 ans après un 7ème album définitif et tonitruant, dans une période où les valeurs sont en constante mutation (homosexualité, place de la femme dans la société, racisme, etc.), il y a un besoin de leaders capables de reprendre le flambeau des ancêtres militants. Mais curieusement, si au cinéma et à la télévision on a vu de nouveaux visages prendre le relais des anciens, musicalement cela a été moins clair et Sleater-Kinney, en 2015 succède à… Sleater-Kinney. En attendant que les Savages, Perfect Pussy ou autres girls band arrivent à maturation, que PJ Harvey sorte son nouvel album (même si cette dernière s’est depuis longtemps éloignée du Rock de ses débuts), les trois quarantenaires les plus jeunes de la planète sont là pour assurer le rôle de guide à toute la nouvelle génération.

No Cities To Love, qui est donc le 8ème album de la bande d’Olympia (cette ville de l’état de Washington connue pour ses groupes de Punk et Post-Punk tels que le mythique Unwound), arbore une belle pochette sur laquelle figure un bouquet de fleur coloré, mais fané. Les plus mauvaises langues diront qu’elle fait automatiquement référence aux trois femmes qui ne sont plus toutes jeunes, mais elle pourrait surtout être la métaphore d’une société américaine en perte de repères, flétrie par des conflits sociaux et politiques et qui a besoin de retrouver une vigueur et une seconde jeunesse, comme ce bouquet aurait besoin d’eau. Curieusement, « vigueur » et « seconde jeunesse » semblent être les mots qui pourraient le mieux caractériser ce nouvel opus de Sleater-Kinney. Le groupe reprend à la fois là où il nous avait quitté avec le son plus Rock et léché de The Woods, mais il semble abandonner, du moins sur les 3/4 des morceaux, l’orientation Indie et alternative observée depuis The Hot Rock en 1999, pour revenir à l’immédiateté et à la simplicité du Punk de Dig Me Out. Ainsi No Cities To Love est composé d’une multitude de chansons énergiques, plutôt courtes et basées presque uniquement sur le modèle « couplet-refrain-couplet-refrain-break-refrain » qui leur donne une sonorité plus Pop qui n’a rien de péjoratif et qui ne veut pas dire que Sleater-Kinney officie aujourd’hui dans le mainstream. Bien au contraire, le groupe ne choisit jamais la facilité et opte comme toujours pour des compositions raffinées, alambiquées, faites de ruptures de tons, de passages frénétiques, d’autres plus calmes et fait des ravages lors de refrains fédérateurs et mémorables.

A vrai dire, Sleater-Kinney n’a peut être jamais sorti un album aussi efficace du premier au dernier titre. On pourra en effet reprocher une absence de morceaux plus aventureux, à contre temps, mais on peut aussi être impressionné par l’avalanche de tubes féministes et contestataires qu’est No Cities To Love. La seule véritable fausse note est sûrement le fade Hey Darling, avant dernier titre, lui aussi efficace mais à qui il manque le souffle frondeur qui porte tout l’album. Surtout, intercalé entre les deux meilleurs titres de l’album, le single Bury Our Friends et le final Fade, il fait un peu tâche. Tandis que ces derniers morceaux sortent eux complètement du lot et rappellent la faculté qu’a Sleater-Kinney de fabriquer des petits bijoux à partir de presque rien : Bury Our Friends catapulté single de l’album rappelle certaines chansons de The Woods avec une ambiance Punk, un son très lourd, une batterie puissante et un mariage fantastique entre les voix des deux chanteuses (Corin Tucker et Carrie Brownstein) et un rythme sans cesse torturé ; Fade est le morceau le plus alternatif de l’album où se multiplient plusieurs couches d’effets sur les instruments et sur le chant.

Faut-il pour autant dénigrer le reste de l’album ? Bien sûr que non. Si on peut parfois être étouffé par l’enchaînement de chansons toutes plus entraînantes les unes des autres, on ne peut critiquer le talent monstrueux de ces trois femmes. Le groove indéniable de titres comme Price Tag, Fangless et A New Wave en font des morceaux accrocheurs dès la première écoute, mais qui ne cessent de dévoiler une beauté cachée avec le côté déstructuré des compositions, la superposition des lignes de guitares et du chant plein d’énergie. La magie Sleater-Kinney opère. Mais Sleater-Kinney est aussi un groupe prenant ses racines dans le Punk et le Hardcore du début des années 1990 et cela se ressent, même insidieusement, dans Surface Envy, No Anthems ou Gimme Love. Morceaux les plus énervés et brutaux de No Cities To love, ils sont aussi les plus chaotiques avec une batterie pachydermique comme dans Gimme Love, ou des guitares au bord du précipice comme dans No Anthems. Ce dernier porte décidément bien son nom, « pas d’hymnes », tant il tranche avec un titre plus unificateur comme No Cities To Love. Justement, la chanson éponyme est peut être celle qu’on détestera ou aimera le plus tant elle surprend de la part de Sleater-Kinney. Véritable titre Pop, il est aussi le plus « simpliste » de l’opus, c’est à dire le moins rempli des bizarreries habituelles du groupe. Ici, on a tout l’apanage de l’hymne, le refrain avec chœur qui obsède l’auditeur. Pourtant loin de dénaturer la musique du trio, il offre une sorte de meilleur représentant de son retour : un morceau qui peut parler à tout le monde tout en restant loin d’une quelconque soupe musicale. Son clip original où le morceau est chanté par tout un tas de célébrités venant de milieux différents, est peut être la meilleure façon de comprendre toute la puissance de cet hymne. En tout cas, il confirme que Sleater-Kinney est bien de retour sans jamais nous avoir vraiment quitté, au delà même des side-project que chaque membre a fondé, ou encore la série TV de Carrie Brownstein, Portlandia. On comprend mieux pourquoi les trois femmes refusent de parler de « réunion » ou « renaissance » tant No Cities To Love, même s’il n’est sûrement pas le meilleur album de Sleater-Kinney, continue à creuser le sillon si particulier, depuis déjà plus de vingt ans, de ce groupe désormais légendaire. En espérant attendre moins de ans ans pour écouter leur prochaine œuvre.

Note: ★★★½☆

SleaterKinney_NoCitiesToLove_cover

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