LOST RIVER, une longue enfilade de symboles et de références qui anesthésie les saillies personnelles et les ambitions de mise en scène de son réalisateur, Ryan Gosling. Un premier film bancal donc, avec quelques fulgurances qui nous laissent impatients de découvrir son prochain long-métrage.

Ryan Gosling est une personnalité fascinante sachant manier les paradoxes. D’abord icône des moins de 12 ans aux côtés de Britney Spears, Christina Aguilera et Justin Timberlake dans The Mickey Mouse Club, il s’est transformé au fil d’une filmographie sans faille en ange de la mort à la sexualité protubérante. Nicolas Winding Refn et Derek Cianfrance lui offrent ses rôles les plus marquants à la frontière d’une réalité poisseuse et d’univers fantasmagoriques sanguinolents et érectiles. Mais c’est bien par le goût des marges que Ryan Gosling semble le plus attiré. Ryan, le musicien, n’a-t-il pas longtemps été le leader de Dead Man’s Bones, groupe de Rock à l’imagerie morbide et aux représentations gothiques.

Lost River, c’est tout ça à la fois. La mère courage, l’enfance innocente, le sexe, la violence, la soumission, les rats qu’on décapite, les jeunes filles et les jeunes garçons à l’avenir incertain et quelques danses de la mort. Sous les apparats d’un conte lugubre de la folie ordinaire.

L’histoire est assez simple. Dans un Détroit dévasté rebaptisé Lost River, Billy (Christina Hendricks), mère célibataire de deux enfants a du mal à joindre les deux bouts. Ecrasée par ses dettes, elle va de petits boulots en petits boulots jusqu’à la rencontre de Dave (Ben Mendelsohn), aristocrate déchu et tenancier d’un club où les belles se mettent en scène dans des danses morbides où lacérations et étouffements font bon ménage. Un club à la frontière du bien et du mal. C’est sous la protection de Cat (Eva Mendes), performeuse repentie et un chauffeur de taxi (Reda Kateb) qu’elle va affronter ses démons. Son fils, Bones (Iain de Caestecker), arpente les ruines de Lost River en quête d’une ville légendaire engloutie et ses quelques trésors sous la menace de Bully (Matt Smith), psychopathe et parrain de quartier autoproclamé.

Dès les premières images, les influences se font ressentir. Un enfant effleurant les herbes hautes irradiées par un soleil trompeur nous plonge dans une poésie Malickienne. Et puis les images de Détroit, ses maisons brisées, ses toits défigurés, ses routes tatouées, ses usines malades nous rappelle immédiatement le Détroit de Jarmusch dans Only Lovers Left Alive. Et puis le réalisme bas de caméra convoque la puissance de CianFrance. Celle qui saisit immédiatement ses personnages et ne les lâche plus d’un millimètre, même s’ils viennent à disparaître de l’écran ou du scénario. Enfin les scènes de club ou d’errance urbaine révèlent une filiation trop évidente avec le Lost Highway ou le Blue Velvet de Lynch, sans parler de l’omniprésence de Winding Refn tout au long du film. On y retrouve aussi les salves gothiques de Dario Argento et sa couleur Rouge si particulière. La violence est outrancière et les lames aiguisées y sont privilégiées.

Ce qui déçoit donc ici, c’est que Ryan Gosling s’improvise en DJ et fabrique le mash up de sa vie rêvée de cinéphile. Et c’est précisément là qu’il se perd. Il avait sans doute beaucoup de choses à raconter. Le personnage de Bones fleurait bon l’autoportrait. Malheureusement pas grand-chose de personnel à montrer, des intentions étouffées et bourratives. Trop de plein, pas assez de vide. Trop de saturation, pas assez de vertige. Trop de démonstration, pas assez de fragilité.

Lost River est donc un hommage timide de très bon élève qu’il rend à sa cinéphilie sans la transcender, un carrousel d’images qui se tournent sans dramaturgie particulière.

Il reste néanmoins dans ce conte de fées putréfiées le sens des acteurs. Tous sont denses, prennent la juste place dans l’image, s’entrelacent aux éléments de mise en scène. La plupart d’entre eux avait déjà croisé Ryan Gosling dans de précédents films. Et l’on sent cet instinct de confiance, cette facilité à se perdre dans tous les personnages.

Il reste aussi des fulgurances d’images, de scènes. Détroit bien sûr. Mais surtout une scène de flirt adolescent, entre une station service et l’abri familial où vit l’adolescente. On y ressent une tension tenue entre les deux protagonistes jusqu’à une explosion de violence programmée où l’hymen fantasmé de la jeune fille se fait littéralement découper au couteau, puissant avec une forte dose de persistance rétinienne.

Lors d’une des premières scènes du film, on entend qu’ « Ici, tous les enfants ont leur chance ». C’est sans aucun doute ce que nous pouvons souhaiter à Ryan Gosling pour son prochain film. Tuer les pères et prendre sa chance. Rappelons nous aussi que Lost River, projeté à Cannes en sélection Un Certain Regard en 2014, avait provoqué émeute sur les marches et huées dans la salle. Ici ni émeutes, ni huées, juste le besoin d’un regard certain.

Lost River, sortie en salles le 8 avril 2015

Note: ★★☆☆☆

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