« Inspiré de faits réels », lit-on sur l’écran vidéo en préambule de la pièce, alors que retentit une détonation sitôt les lumières de la salle éteintes.
Les faits en question, ce sont ceux des attentats du 22 juillets 2011 en Norvège, et plus particulièrement ceux de la tuerie d’Utøya. Sur cette petite île du lac Tyri, où se déroule le camp d’été de la Ligue des Jeunes Travaillistes, un militant d’extrême droite vêtu d’un uniforme de la police a fait feu et abattu 77 personnes, dont 69 adolescents pris au piège de l’île. Le massacre dure plus de deux heures.
Sur une île est le dialogue entre une morte et un vivant, un frère et une sœur : Eva est l’une des victimes d’Utøya, Jonas est étudiant en droit à Oslo, hanté par le fantôme de sa sœur. Dans un grand loft de type scandinave au mobilier épuré, il boit jusqu’en en vomir du sang pour noyer son chagrin et court sur un tapis d’appartement pour convoquer les sensations du corps, se rappeler que lui est bel et bien vivant.
La conversation entre Eva et Jonas est tantôt tendre, tantôt complice, alterne la colère et l’incompréhension, interroge l’obéissance au droit, l’injustice, le deuil impossible, le sacrifice d’une jeunesse, la réponse des états face au terrorisme, les raisons d’une telle violence. Anders Behring Breivik, l’auteur du massacre d’Utøya est décrit comme un soldat qui jouait enfant avec ses figurines de plomb puis s’est trouvé une cause pour exercer sa violence. L’absence du père est mise en cause. Eva et Jonas convoquent les souvenirs de leur enfance, la vie proche de la nature, les vacances sur une île à cette époque synonyme d’innocence ; l’eau, la forêt acquièrent dans le texte une portée mythologique.
La pièce, écrite en 2014, résonne différemment depuis les attentats du 13 novembre et provoque une profonde sidération chez le spectateur, avec la proximité des morts du Bataclan. Le texte écrit par Camille de Toledo est d’une grande justesse, suscite la réflexion tandis que la mise en scène de Christophe Bergon et la direction d’acteurs maintiennent l’émotion à distance. Le décor est comme une zone de repli, à l’abri du monde. Le jeu des comédiens, la façon dont ils récitent le texte, provoquent un état de quasi apesanteur, quelque chose de fantomatique voire de fantasmagorique, en retenue. Malgré quelques fulgurances, issues notamment de l’irruption de la musique, du bruit des coups de feu, des projections littérales de sang, on imagine l’équilibre entre les mots et la mise en scène, l’émotion pure et le besoin d’interroger, difficile à situer.
Car si Sur une île n’est ni un moment de confort, ni aimable pour le spectateur, on ne peut nier que ses effets et la réflexion qu’elle suscite se prolongent longtemps après la représentation, et en font un acte théâtral nécessaire à notre époque.
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