Qui l’eut crû ? Jusqu’au 8 janvier dernier, date de son 66ème anniversaire, David Bowie avait quasiment disparu des écrans radar depuis presque 10 ans. Interrompu au cours de son Reality tour en Juin 2004 par des pincements à l’épaule gauche qui, insoutenables au sortir d’un concert en Allemagne, s’avèreront être les prémices d’un infarctus le conduisant direct sur la table d’opération. Fin de la tournée – une des plus longues de sa carrière – une quinzaine de concerts annulés. Bowie n’a accordé aucun entretien depuis cette sortie de scène précipitée (et précédée quelques jour plus tôt d’une sucette reçue dans l’œil – toujours au cours d’un concert – le fameux «Lili drop incident». Comme quoi une catastrophe n’arrive jamais seule). Il s’est résigné à accepter la fragilité d’une existence menée tambours battants durant 40 ans : 26 albums, une quinzaine de tournées mondiales, beaucoup d’alcool , 10 mètres cubes de cocaïne et une cinquantaine de cigarettes blondes par jour. Il a eu un gros coup de flip après la première alerte, malgré tout tardive vu la liste non exhaustive ci dessus.

Depuis, il est apparu aux côté des pompiers Arcade Fire en 2005 pour chanter Five Years, avec Alicia Keys (sic) puis David Gilmour en 2006 au Royal Albert Hall pour interpréter avec simplicité des versions plutôt belles de Arnold Layne (chantée par son héros Syd Barett à l’origine) et Confortably numb. Toujours classieux, au cours de ces apparitions en guest, mais l’amplitude vocale écornée. Au cinéma, on l’a vu moustachu interpréter la même année le personnage du mystérieux Tesla dans The Prestige de Christopher Nolan, un rôle sobre et retenu qui devrait rester pas trop mal placé dans la liste d’une filmographie plus que contrastée.

Quoi d’autre ? Une « collaboration » presque inaudible (au sens premier, sans jugement de valeur) sur le premier album de l’actrice Scarlett Johannson, à l’occasion d’une reprise pas extra de Tom Waits (la géniale I don’t wanna grow up). Une apparition dans une série télé. Et voilà le travail d’une décennie essentiellement consacrée à l’éducation de sa petite fille, Alexandria, née en 2000, de son mariage en 92 avec la belle Iman, ex mannequin d’origine somalienne. Les joies des bonheurs simples et domestiques à l’orée de la soixantaine. On n’a jamais vu d’images montrant Bowie faisant pisser le teckel, mais dans un tel contexte, avec le béret et les 10 kilos de plus, elle n’aurait guère surpris. A cela, s’est ajoutée la machine à rumeurs qui se mit en marche forcée de manière épisodique puis régulière : Bowie malade, Bowie mourant, cancer, Alzheimer, cirrhose, traitements, paralysie des membres etc…et le principal intéressé de s’en foutre comme de l’an 40 et décidant de ne jamais confirmer ni démentir quoique ce soit.

Bowie pour la première fois portait désormais son âge sur les quelques photos volées des trottoirs New-Yorkais qui apparaissaient de temps en temps. Les plus perspicaces d’entre les fans hardcore avaient cependant remarqué cette besace mystérieuse qu’il trimballait systématiquement à plusieurs mois d’intervalle en semblant se rendre d’un point A (son loft de Manhattan) à un point B (un studio de mixage, en vue d’une énième réédition ? ou mieux encore…d’enregistrement ?). Mais sans espoir ni ferveur. On s’était fait à l’idée : Le Zig avait pris sa retraite, il avait décidé de se fondre dans l’anonymat. Et peut-être, afin de maitriser son destin de Narcisse pathologique jusqu’au bout, de s’imaginer un dernier tiers de vie en reclus volontaire à la Greta Garbo. L’idée avait de l’allure et présentait une alternative au destin pathétique de certains de ses confrères ayant dépassé la date limite. D’ailleurs, d’aucuns louaient même cette «retraite» atypique et assez inédite dans le monde du rock. Cette disparition fascinante autour de laquelle semblait flotter de-ci de-là le spectre d’un gros doigt bien tendu.

Discographiquement , on avait eu droit à une superbe réédition de son premier album de 1967, le toujours frais et sémillant David Bowie qui contient sur son CD bonus entre autres petites perles la sublime In the heat of the morning popularisée depuis par The Last Shadow Puppets. Une autre réédition pour l’un de ses vrais chefs d’œuvre, le fameux Station to Station de 1976 (l’album du Thin White Duke, l’autre célèbre personnage de Bowie après Ziggy Stardust), dérangé, funky et bouillonnant comme au premier jour et enfin un double CD live officiel très chouette et souvent habité même si un poil trop pro (propre ?) de son Reality Tour de 2003-2004, agrémenté de quelques bonus par rapport à sa version DVD déjà parue.

Enfin au printemps 2010 , surprise : le mitigé Toy, balancé sur internet (semi légalement), album de ses propres reprises de chansons des 60’s enregistré à l’orée des années 2000 mais refusé par la maison de disques, offre aux inconditionnels le loisir de se mettre de l’inédit dans le cornet.

Et puis plus rien. Le temps reprend son cours. Bowie a disparu mais il est partout. Cité, repris, commenté, détourné, source d’inspiration kaléidoscopique pour les nouvelles générations. Arcade Fire, Damon Albarn, LCD Sound System et des wagons d’autres dans les années 2000 s’approprient un morceau de la Bowiesphère. Comme Suede, Smashing Pumpkins ou Nirvana dans les années 90 qui avaient aussi revendiqué son influence. Bowie reste dans le coup. En 2012, l’album Ziggy Stardust fête ses 40 ans et se retrouve à nouveau réédité pour l’occasion (la 2ème vente de vinyles neufs de l’année 2012). Scott Walker, qui sort un album dans l’hiver, exprime le souhait prémonitoire dans un entretien que Bowie revienne un peu taquiner de la zizique, histoire qu’il se sente moins seul.

Et badaboum ! Le o8 janvier, Bowie balance sur son site officiel un nouveau morceau accompagné d’une vidéo du vidéaste Tony Oursler, avec lequel il avait déjà collaboré pour ses visuels étranges pour le clip bien barjot de Little Wonder, son single Glam’n’bass de 1997 ainsi que lors du concert anniversaire de ses 50 ans la même année au Madison Square Garden. Il en profite même pour (faire) annoncer la sortie de son nouveau disque, The Next Day, deux mois plus tard, le 11 Mars. Surprise, joie et inquiétude mêlées : la chanson Where are we now ? semble matérialiser l’idée même d’agonie, tant son flux étrange et ralenti évoque une extinction imminente. Les images n’arrangent rien, Bowie apparaissant au naturel, le visage encadré, déformé, projeté sur une poupée de chiffon aux côtés de celui de l’épouse du vidéaste. Que veut-il nous dire ? Est-ce là un nouveau personnage ? On pensait que le vieux à la voix tremblante, il l’avait déjà fait dans Les Prédateurs de Tony Scott en 82…Pour autant la mélancolie de la chanson opère et révèle toute sa profondeur de champ et sa finesse au fil des écoutes. La vidéo, culottée, iconoclaste et arty fait le buzz. Bowie y évoque ses années berlinoises, égrène des lieux d’une voix fragile et somptueuse sur une composition moins simple qu’il n’y paraît de prime abord.

Depuis, une dizaine de semaines ont passé, et il s’est passé quelque chose d’impensable il y a encore quelques semaines: Bowie a fait l’objet de plus de 300 couvertures de magazines dans le monde et certainement quelques milliers d’articles et de reportages TV ou Internet. Du jamais vu depuis 1983 avec la sortie de l’album Let’s dance (connu pour être son plus gros succès commercial) , un véritable raz-de-marée médiatique !

A Londres, une première rétrospective mondiale – David Bowie is… – a été annoncée pour le 23 mars prochain au Victoria and Albert Museum. C’est la première fois qu’une rétrospective est exclusivement consacrée à l’univers d’une star du rock. Une exposition avec plus de 300 objets, des costumes, des extraits de films, des manuscrits. Le tout en musique, bien sûr. Il paraît que 46 000 tickets sont déjà vendus.

Un second single , beaucoup plus pêchu que le premier a été proposé fin février en écoute accompagné lui aussi d’une vidéo lynchienne chiadée, réalisée par Flora Sigismondi, qui avait déjà illustré les chansons Little Wonder et Dead Man Walking (1997). On y retrouve Tilda Swinton dans le rôle de l’épouse du chanteur, et force est de constater que l’actrice écossaise au physique si particulier se marie parfaitement à l’univers de Bowie. Avec The stars (are out Tonight), il s’amuse de toutes les dualités qui l’animent : anonymat et célébrité, jeunesse et vampirisme, androgynie et bissexualité, harmonie et dérèglement. Bowie et Swinton interprètent ici un couple middle class, marié et bien sous tous rapports, dont la vie va être bouleversée par l’arrivée (réelle ou hallucinée ?) d’un couple de people. Une vison dédoublée de soi qui avait déjà fourni la matrice de la poignante vidéo du single Thursday’s childen (99). Cette nouvelle vidéo très drôle, contient à son dénouement tragico-comique des références au Chien Andalou que Bowie projetait déjà en introduction des concerts noir et blanc de sa tournée de 76. Quant à la chanson elle même, elle dévoile ses charmes au fil des écoutes et semble s’inscrire dans la continuité de l’album Reality(2003)… mais en nettement meilleur. On sent que la production de Tony Visconti s’est fluidifiée, les cordes sont aériennes, la guitare de Earl Slick lâche des zébrures magiques acérées. Le morceau a des hanches et un drive soutenu de bout en bout.

Lorsque que l’album sort enfin, le lundi 11 mars, cela fait une dizaine de jours que Bowie (qui ne s’exprime jamais directement mais envoie son producteur et ses musiciens égrener les infos dans la presse à sa place) a surpris de nouveau en balançant son album en écoute gratuite sur ITunes. Nouveau mini-Buzz.

L’album justifiait-il une attente de 10 ans ?

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