Découverte en tant qu’actrice dans La dérobade de Daniel Duval aux côtés de Miou Miou et de Maria Schneider, c’est surtout en tant que muse et compagne du cinéaste Philippe Garrel que Brigitte Sy éclate à l’écran aux travers de figures maternelles dans des films importants qui construisent une cinéphilie. Quatre films et deux enfants plus tard (Louis et Esther Garrel), elle reste parmi celles qui ont su pénétrer les sphères artistiques et intimes d’un des plus grands poètes contestataires de la fin du siècle dernier. Celui qui au travers du collectif s’autoproclamera artiste expérimental révolutionnaire d’avant-garde à la fin des années 60, celui qui embarquera Nico loin du Velvet dans des aventures cinématographiques incandescentes, celui qui laissera deux chef d’œuvres avec Brigitte Sy, J’entends plus la guitare et Les amants réguliers, comme testament de ses amours perdus.

Brigitte Sy fait donc partie de ces artistes que l’on suit toujours du coin de l’œil dans l’espoir de retrouvailles bienheureuses. Parce qu’elle incarne un pan tout entier du dandysme à la française des années 60-70, parce qu’elle est une artiste fragile, sensible, trop rare et qu’elle magnétise l’attention comme peuvent le faire les muses des grands artistes compris ou incompris.

La dernière fois que nous avions eu de ses nouvelles, c’était en 2010, très peu de temps après l’annonce publique de sa séropositivité. Elle nous livrait son premier film Les mains libres. La naissance d’un amour déraisonné en milieu carcéral teinté d’un romantisme contagieux.

Adapter L’astragale, le roman autobiographique d’Albertine Sarrazin, se présente comme une évidence. Tous les motifs de son cinéma, de sa vie d’artiste sont présents dans L’Astragale.

La naissance de l’amour, la quête identitaire, réapprendre à vivre et à aimer, une certaine forme de romantisme littéraire parsemé de folie et d’abandon, une bonne dose de féminisme et une fascination pour les murs, les univers clos, les barrières sentimentales, les accès rendus inaccessibles.

L’Astragale, c’est donc la rencontre d’Albertine (Leïla Bekthi). Une nuit d’avril 1957, la jeune fille de 19 ans, saute du mur de la prison où elle purge une peine pour un hold-up qui a mal tourné. Dans sa chute, elle se brise l’os du pied : l’astragale. Elle est secourue par Julien (Reda Kateb), un repris de justice, qui l’emmène et la cache chez une amie à Paris. Pendant qu’il mène sa vie d‘escroc, Albertine réapprend à marcher dans la capitale pour retrouver sa liberté. Une quête qui la pousse aux extrêmes d’une certaine forme de radicalité : l’effacement identitaire, la prostitution, l’amour absolu.

Le film s’attarde donc sur les 18 mois du destin d’une indestructible qui à la fin de sa vie aura passé le quart de son existence en prison sans jamais concéder le moindre mètre sur ce qu’elle est.

L’introduction du film est saisissante. Un noir et blanc profond et contrasté nous fait découvrir le visage d’Albertine sur ce mur, prête à sauter dans le grand vide des lendemains qui déchantent, transpercée par le vertige suffocant de la mort qui se présente. On la retrouvera rampante, le pied cassé, la peau déchirée sur l’asphalte d’une route de campagne où les phares au loin s’allument sans prévenir.

Cette ouverture est remarquable car elle convoque la tradition du cinéma de morts-vivants des années 60 pour servir l’état profond de transhumance existentielle d’Albertine.

La suite sera tout aussi belle avec la rencontre de Julien. L’animalité de cette rencontre entre Leila Bekthi et Reda Kateb renoue avec la légende des grands couples condamnés du cinéma de gangster. Ici ni mondanité, ni cour intempestive mais des regards simples et directs, une sensualité à fleur de peau et des doigts qui se conjuguent comme pour sceller le pacte d’un amour absolu.

Néanmoins, il faudra beaucoup d’indulgence pour crier à une totale réussite avec ce nouveau film, qui derrière la puissance de son ouverture et la beauté de ses ingrédients manque cruellement de cinéma.

L’œuvre tombe dans une certaine forme de classicisme qui altère la dimension romanesque de ses personnages, de cet amour fou. La mise en scène n’arrive pas à sublimer ce couple d’acteurs parmi les plus excitants du cinéma français. Et le noir et blanc perd petit à petit de son éclat.

Certes, de très belles scènes viennent ré-enchanter le film. On pense aux déambulations d’Albertine dans Paris, à ces plans d’escaliers filmés comme des montagnes russes qui ne laissent apparaitre que le buste de l’héroïne. On admire les scènes d’intimité. Pas tant celles entre Julien et Albertine, mais plutôt celles où Albertine monnaye son corps avec abnégation, au nom de la liberté. Ou bien celles encore avec Marie (Esther Garrel), sa compagne de braquage, qui arrivent à saisir l’essence de la sensualité et de la féminité.

On est heureux, aussi, de retrouver Louis Garrel, funambule poétique, dans une apparition furtive, appareil photo en bandoulière comme arme de poing.

Le film littéralement très beau n’aura raté son pari que sur l’incandescence qu’il dégage, cette forme d’animalité qui subjugue, cette folie d’un amour naissant déjà condamné.

L’astragale, sortie en salles le 8 avril 2015

Note: ★★½☆☆

partager cet article