Ce qui surprend de prime abord dans l’adaptation pour la scène des Particules élémentaires par Julien Gosselin, c’est l’extrême théâtralité du texte de Michel Houellebecq, que le metteur en scène a respecté à la virgule près, auquel il a très peu ajouté. Ce qui aurait pu être considéré comme une proposition très audacieuse se révèle en réalité une démarche très naturelle, il suffit d’entendre les acteurs prononcer in extenso les mots issus du roman pour s’en convaincre et se rassurer sur la validité de l’adaptation. Point de parjure ni de crime de lèse majesté, non, les amateurs de l’écrivain ne devraient pas avoir à redire sur la fidélité à l’œuvre, que ce soit sur la lettre comme sur l’esprit. On y retrouve donc ce mélange riche et complexe qui alterne les propos sur la science, la biologie, la politique, la sociologie, la religion, la pornographie, la réflexion philosophique, la fable d’anticipation, dans une fresque grandiose et ambitieuse qui recouvre en grande partie la deuxième moitié du 20ème siècle. Houellebecq en décrit la chute à travers le libéralisme sexuel et la misère individuelle quotidienne de deux demi-frères que tout oppose : Michel, chercheur en biologie moléculaire, solitaire et indifférent à la société des hommes et Bruno, en quête du plaisir absolu.

Ce qui peut étonner en revanche, et sans nier le formidable humour houellebecquien contenu dans le roman – souvent très grinçant -, c’est la façon dont le rire est régulièrement sollicité, de façon franche et massive, évitant ainsi à la pièce de sombrer dans le sinistre le plus total. Là où une situation ou une phrase lue de façon littérale ne prêtait pas spontanément à la franche rigolade, voire paraissait pathétique ou effrayante, elles suscite ici l’hilarité des spectateurs. Il faut dire que Julien Gosselin grossit volontairement le trait dans la direction d’acteur – le personnages de Bruno, notamment – et pousse les situations vers le burlesque, surtout dans la première partie. Ainsi, tout le chapitre Le lieu du changement se moque très ouvertement de ces communautés new age, de leurs rites de massages californiens, d’écriture douce… La deuxième partie après l’entracte – le spectacle dure tout de même près de quatre heures avec la pause – est plus sombre, la trajectoire des personnages les conduit de façon inéluctable vers un déclin attendu et cruel (la maladie, la solitude, le suicide, etc.).

La mise en scène de Julien Gosselin est d’une inventivité permanente : les dix acteurs sont constamment sur la scène. qu’ils jouent leur rôle ou non. Quand ce n’est pas le cas, ils sont assis dans du mobilier 70’s sur une estrade qui fait le tour de la scène ou jouent du clavier, de la guitare ou de la batterie électrique pour des passages musicaux qui s’intègrent à la narration. C’est l’une des meilleures idées du spectacle, faire du théâtre un lieu où se mélangent le jeu et la musique live. Les transitions sont ainsi rythmés par de beats électroniques, un écran géant en fond de scène diffuse des images captées par des caméras, des archives d’époque ou les titres des chapitres. L’effet rappelle ce que produit le cinéma de Gaspar Noé, un rythme proche de la syncope et du malaise (Tribute to Charles Manson, extraordinaire séquence musicale prononcée façon spoken word, sur les sectes satanistes, les snuff movies et le développement des serial killers aux Etats-Unis) . La narration est portée par l’ensemble des acteurs – dont un avatar houellebecquien – qui la prennent en charge alternativement, soit dans un dialogue entre eux, soit face au public, de façon chorale. L’utilisation de la vidéo avec des petites caméras qui filment les acteurs sur scène pour diffuser l’image sur l’écran géant, achève de faire des ces Particules Élémentaires une des propositions de théâtre les plus puissantes, brillantes et originales qui nous ait été donné de voir depuis très longtemps.

Les particules élémentaires, adapté et mis en scène par Julien Gosselin (Compagnie « Si vous pouviez lécher mon coeur« )

Note: ★★★★½

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