Les films de Wes Anderson ont toujours quelque chose à voir avec l’enfance et avec la description de familles dysfonctionnelles. Moonrise Kingdom n’échappe pas à cette règle et en fait même le programme principal de son récit. A travers la fuite de deux préados fugueurs, le réalisateur y décrit superbement la relation amoureuse de ces deux jeunes tourtereaux, Suzy et Sam, déclenchant autour d’eux des réactions chez les adultes qui s’avèrent très vite dépassés par les événements et pas si matures que ça dans leurs comportements. Annoncé comme cela, le scénario pourrait paraître convenu n’était-ce le talent immense de mise en image de Wes Anderson et sa capacité si particulière à faire rentrer n’importe quoi (l’Inde, une chambre d’hôtel parisienne, une aventure maritime, etc.) dans son univers si singulier.

Dès la première scène, pas de doute, nous sommes bien dans un film de Wes Anderson ! Le spectateur a minima attentif pourra identifier les motifs récurrents du cinéaste : le souci de la géométrie des plans et le travelling latéral. Le procédé est à ce point systématique qu’on pourrait soupçonner le réalisateur de rabâcher les mêmes formes, de s’emprisonner dans un style, un monde répétitif et autiste. Pourtant, la forme sert ici le fond, au-delà d’un pur exercice de style décoratif. La précision géométrique du cadre et les mouvements d’appareils filmant le domicile familial comme une maison de poupée disent la distance qui existe entre les parents et leurs enfants et enferment les personnages dans un espace clos dont il est impossible de se soustraire. Plus loin, le long traveling dans le camp de boyscouts «Ivanhoé» permet d’insuffler un véritable rythme de comédie au métrage, qui ne souffre d’aucune baisse de régime ni de temps mort.

Le style Anderson est ici mis au service de scènes qui font partie des plus belles de sa filmographie. Le ralenti de la sortie du «mariage» des deux jeunes amoureux est d’une beauté sidérante, qui vous file la chaire de poule et la larme à l’œil. Le réalisateur filme Suzy et Sam avec une grande justesse d’observation, de tendresse, de respect et de nostalgie dans la façon qu’ils ont d’imiter les gestes des grands, avec l’imaginaire et les moyens de l’enfance. L’exercice pourrait s’avérer casse gueule quand il s’agit de filmer l’éveil à la sensualité et la découverte du corps de l’autre, mais là aussi, Wes Anderson trouve le regard juste, plein de pudeur et de romantisme exacerbé. On n’est pas près d’oublier la superbe séquence de la plage où Suzy et Sam, en culotte, échangent leur premier french kiss en dansant sur un disque de Françoise Hardy. «C’est le temps de l’amour […]», chante l’icône yé-yé.

Alors non, le cinéma de Wes Anderson n’est pas en panne. Lui-même semble s’en amuser avec cette ouverture sur le Young Person’s Guide to the Orchestra de Benjamin Britten où un mouvement musical est décortiqué, instrument par instrument, de façon pédagogique. Le réalisateur met aussi en place son dispositif familier avec la rigueur d’un chef d’orchestre : la photo vintage dans les tons jaune/orange/vert, la B.O influencée par les standards 60’s , la troupe d’acteurs réguliers (Jason Schwartzman, Bill Murray) rejoints par de nouvelles figures à contre-emploi (Edward Norton, Bruce Willis en flic mélancolique), hyper stylisation des costumes et des accessoires (avec cette fascination pour les couvre-chefs : ici une toque à queue de Castor de boyscout après le bandeau de tennis de La famille Tennebaum et le bonnet à la Cousteau de La vie aquatique)… Mais la partition ne connait une nouvelle fois aucune fausse note, et fait de Moonrise Kingdom une somme virtuose, aérienne et euphorisante.

Note: ★★★★½

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