Tout d’abord, un premier constat à la lecture de ce 1Q84 Livre 3 dont la sortie est espacée en France de six mois de ses deux précédents volets : on se replonge très vite dans l’univers si étrange et particulier d’Haruki Murakami, on se remémore instantanément l’histoire d’Aomamé et de Tengo, leurs trajectoires, là où on les avait laissés plus tôt. Ce hiatus ne vient cependant pas combler une attente démesurée qu’il aurait provoqué de façon artificielle pas plus qu’il ne modifie fondamentalement ce qu’on pensait des mille premières pages de l’oeuvre. L’auteur use encore de cette écriture d’une grande fluidité qui fait de ce corpus un formidable page turner se dévorant d’unseul élan.

L’avantage de cette limpidité du style, c’est que Murakami ne perd jamais son lecteur, malgré ses fulgurances fantastiques et poétiques, ses mondes parallèles, ses bizarreries singulières. Tout ici est signifié de façon très (trop?) manifeste, avec ce sentiment que Murakami tire un peu à la ligne, racontant en beaucoup de mots ce qu’il exprimait avant beaucoup plus succinctement. Sans doute aurait-on préféré nous perdre plutôt que d’être tenus par la main, guidés par l’auteur de façon pédagogique et quasi didactique. Alors 1Q84 sera sans doute une très bonne entrée en matière pour ceux qui découvriront Haruki Murakami, mais il ne souffre pas la comparaison avec Kafka sur le rivage, La ballade de l’impossible ou La fin des temps, lectures indispensables et décisives pour les fans de l’auteur japonais.

1Q84 ressemble donc à un digest murakamien, une synthèse de son univers, des thématiques qui traversent son œuvre, les histoires parallèles qui fonctionnent comme des chapitres alternés, les récits initiatiques de personnages solitaires qui mènent leurs propres quêtes personnelles dans un monde qu’ils doivent déchiffrer, apprendre à comprendre. Et puis il y a ces petits indices, comme la présence d’un caoutchouc, une plante en pot qu’on retrouve de roman en roman comme un clin d’oeil de l’auteur à ses lecteurs attentifs et fidèles. Dans ce dernier volume, Murakami doit gérer deux situations proches de l’immobilisme : Aomamé se retrouve cloîtrée dans un appartement guettant le retour de Tengo qu’elle a aperçu sur le toboggan d’un jardin d’enfants. Ce dernier veille son père mourant, espérant de nouveau l’apparition de la chrysalide de l’air dans laquelle il a eu la vision d’Aomamé jeune.

L’immobilisme des situations ne signifie cependant pas que l’histoire n’avance pas. Elle tourne pour l’essentiel (trop?) autour de l’histoire d’amour entre Aomamé et Tengo. Chaque personnage connaît des bouleversements profonds et de nouveaux questionnements se font jours : que s’est-il passé ce soir de tempête lorsque Tengo a fait l’amour à Fukaéri ? Qui est cette infirmière rencontrée par Tengo lui rappelant sa mère et qui va faire pour lui fonction de guide ? Quel est le secret de ses parents ? Dans 1Q84, les mondes ne sont pas étanches, d’un point de vue des lieux et du temps, des passages peuvent s’ouvrir permettant une circulation inattendue des causes et des conséquences. Dans ce Livre 3, une troisième voix s’ajoute au récit : celle de Ushikawa, déjà rencontré auparavant, une sorte d’agent solitaire lancé par la secte des Précurseurs aux trousses d’Aomamé, et qui va agir comme une menace sur les retrouvailles du couple.

Si son étau se ressert au fur et à mesure telle une toile d’araignée, on ne doute cependant pas de l’issue de l’histoire comme on sait qu’aucune explication définitive nous sera donnée sur les little people et la logique de leurs apparitions. Au bout du voyage, l’amour ne peut que triompher des épreuves, de façon attendue, dessinant une courbe qui nous ramène là où tout a commencé. Qu’importe la destination, l’important, c’est la façon dont Haruki Murakami, en véritable magicien des mots et maître conteur, nous a embarqué dans ce monde dans lequel nous étions prêts à accepter toutes les fantaisies.

Note: ★★★½☆

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