La tuile : à peine une semaine avant la soirée du samedi où le groupe devait jouer en tête d’affiche, The Kills annule sa venue au Week-End des Curiosités avec un mot du médecin. Dommage, Alison Mosshart et Jamie Hince avaient donné l’un de meilleurs concerts de l’automne au Bikini en nous régalant de leur garage rock direct et brut, porté par l’énergie féline de la chanteuse aux cheveux rouges. Difficile dans un délai si court de trouver un remplaçant. Décision est prise de déplacer les concerts du Port vers le Bikini où s’enchaîneront donc les deux soirées du samedi.

C’est Juveniles qui ouvre le bal. Le trio Rennais est précédé d’une rumeur flatteuse. Il a signé sur le prestigieux label Kitsuné avec le manifeste imparable We are young en forme de carte de visite qui devrait lui ouvrir le chemin des radios et d’un succès qu’on devinerait même international. Le groupe a en effet de sérieux arguments pour séduire un public anglais qui identifiera sans mal les influences situées du côté de Manchester. Sur scène, Juveniles séduit instantanément le public avec un son hérité de la new wave, tous synthés en avant, une voix à la Morrissey, entre The Smiths et New Order. Mais là où le groupe convainc, c’est dans sa capacité à dépasser ces influences, cette volonté crâneuse d’en découdre avec un genre dont les membres sont sans doute effectivement trop jeunes pour avoir connu l’époque, en regardant droit dans les yeux les amateurs de brit-pop qui en connaissent suffisamment bien les ficelles pour se satisfaire d’un énième ersatz nostalgique. Pari gagné, le public réserve un bel accueil au groupe qui repart le sourire aux lèvres.

Changement de plateau : il pousse sur la scène du Bikini des cocotiers gonflables, le décor devient exotique pour accueillir Naive New Beaters. Dès les premières minutes, la salle chavire, les gobelets de bière volent, les premiers rangs deviennent incontrôlables. Il faut dire qu’un set de Naive New Beaters est une célébration hédoniste, une invitation à la fête et à la danse. David Boring, le chanteur, attifé d’un accoutrement assez invraisemblable, joue d’un second degré permanent en s’adressant au public avec un accent anglais contrefait qui imite la crétinerie d’Omer Simpson. Tout fait dérision avec Naive New Beaters, des «big up» répétés aux postures parodiques, les codes sont volontairement détournés pour les rendre ridicules. Le public réagit au quart de tour, il faut avouer que même sans être client des ambiances festives, le groupe est assez irrésistible car il tient la route musicalement. C’est un mélange de hip hop dans le flow de David Boring, de rock quand Martin Luther BB King s’empare de sa guitare pour produire de bons gros riffs fédérateurs, et d’electro quand Eurobelix balance ses beats entraînants.

Le bikini est chauffé à blanc pour accueillir Pony Pony Run Run, devenu la tête d’affiche de la soirée, suite au désistement de The Kills. Le groupe originaire d’Angers fait la démonstration de sa capacité à produire des hits instantanés (Hey you), des hymnes repris en cœur par le public du Bikini. Mais cette usine à tubes tourne aussi assez mécaniquement, sans âme, l’electro pop que délivre le groupe paraît trop catchy et calculée pour être véritablement honnête, dans une volonté de grignoter une partie du succès dévolu à Phoenix outre-Atlantique. Le groupe conclut son set au bout d’une heure montre en main, car il faut maintenant vider les lieux pour la deuxième partie de soirée, dévolue aux rythmes technos et electros. L’essentiel du public est venu voir SebastiAn qui joue à deux heures du matin, précédé par deux DJS, Kissy et TEPR qui ont pour but de chauffer la salle. Ambiance clubbing au Bikini donc, tandis que le bar de la terrasse ne désemplit pas, on croise même un membre de Noir Cœur qui découpe le nom de son groupe sur une affiche du festival en guise de souvenir !

SebastiAn entre en scène sur la vidéo du résultat des élections présidentielles de 1981, Jean-Pierre Elkabbach annonçant non pas la victoire de François Mitterand, mais celle… de SebastiAn lui-même. C’est le Primary Tour 2012, un show dont la mise en scène est axée sur le détournement des codes nationaux : la Marseillaise est revisitée à la façon d’un Jimmy Hendricks maltraitant le Star Splanged Banner, les slogans électoraux martèlent des messages répétitifs (Votez SebastiAn, SebastiAn président…). Hissé sur un promontoire, un brin mégalo et provocateur, vêtu d’une chemise noire, le maître de cérémonie adopte une attitude à la Gainsbourg, jusqu’à la ressemblance physique, la clope au bec en permanence, le poing levé. Mais l’imagerie douteuse qui est convoquée – les banderoles qui encadrent la scène évoquent le souvenir du IIIe Reich – est mise au service d’un rouleau compresseur totalitaire qu’on peut trouver nauséabond. Quand on observe les réactions de la salle, on ne peut pas s’empêcher d’avoir cette vilaine impression que le public réagit à la manipulation dans un premier degré dangereux, qu’il est instrumentalisé au profit d’une mise en scène excluant tout type de réflexion sur la nature des signes mis à sa disposition.

Note: ★★½☆☆

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 Crédit photos : Frédéric RACKAY (tous droits réservés)

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