En 1954 sort le premier Godzilla, film japonais, enfant du traumatisme causé par les deux bombes atomiques larguées sur le territoire nippon une dizaine d’années plus tôt. Godzilla est un monstre issu du nucléaire. Réveillé par les essais américains dans le pacifique, il sort de l’eau pour ravager les villes et cracher du feu radioactif, en gros. Ce film réalisé en 1954 par Ishiro Honda a lancé un genre, les films de Kaijus, monstres géants préhistoriques sortis de l’eau pour régler leurs comptes sur la terre ferme, sans regarder où mettre les pieds. Au fil des années, le statut de Godzilla a évolué, il est passé du corps géant destructeur, à un héros défendant le Japon d’autres monstres plus méchants encore. L’année dernière la Warner avait produit un autre film de créatures géantes : Pacific Rim, (Guillermo Del Toro) un film de geek jouisseur, ne s’embarrassant d’aucun questionnements écologiques ou politiques, mais produisant une imagerie pop délirante et quelques séquences plus que mémorables. Le film de Gareth Edwards, le Godzilla 2014 donc, contrebalance avec la personnalité envahissante de Guillermo Del Toro, et se greffe sur des problématiques récentes et contemporaines.

Pas de surprises dans le scénario, quoique Godzilla n’est pas seul dans ce film, il est accompagné de deux autres bestioles insectoïdes, un mâle et une femelle cherchant à se reproduire, l’existence éventuelle d’une progéniture étant le synonyme d’une fin du monde certaine. Voilà pour l’histoire, à cela près qu’il faut malheureusement passer par quelques séquences d’émotions pénibles devenues des formalités dans ce genre de blockbuster qui s’acharne à vouloir nous émouvoir en mettant des enfants un peu partout, pour que les acteurs puissent les sauver héroïquement. Dommage qu’Hollywood soit naïf au point de penser qu’un spectateur peut pleurer avec une scène de retrouvailles concernant des personnages vus ensemble pendant quelques vagues séquences d’expositions familiales. Reste la scène de Binoche au début, plutôt un bon électrochoc, habilement mise en scène.

On pourrait se dire que tout cet aspect moral, concernant la responsabilité des personnages, n’est pas ce qui intéresse Gareth Edwards, mais difficile de penser cela quand le personnage principal interprété par le mollusque Aaron Taylor Johnson, décidément l’un des pires acteurs du moment, s’appelle Brody, soit le même nom que celui porté par Roy Scheider dans Les Dents de la Mer. Et cette référence constante à Spielberg n’est pas la chose la plus intéressante dans le film.

La taille des monstres semble vouer les passions terrestres des humains à n’être de tout de façon pas grand chose, et la surenchère d’effets numériques dans ce film comme d’autres supprime petit à petit la présence de corps humains réels. Ce qui avait commencé il y a une quinzaine d’années avec la multiplication numérique des foules, supprimant la présence réelle des figurants, continue de manière régulière dans les superproductions à réduire l’humain et son incarnation par un corps réel. Des films comme Avatar ou même Pacific Rim sont de très bons exemples d’un passage réussi à une autre ère de l’image, dans laquelle le corps humain physiquement incarné peine à se frayer un chemin, se retrouve immobile comme le spectateur, et se projette dans un Avatar qu’il pilote d’une manière ou d’une autre. L’être bleu de Pandora dans Avatar et le robot de combat dans Pacific Rim, c’est la motion capture intégrée au scénario.

Dans Godzilla, nous somme face à une croyance plus naïve en l’évènement catastrophique qui se déroule sous nos yeux. Le monde était inexistant dans Pacific Rim, il est ici pleinement retranscrit et vibre au rythme des combats de monstres. Le film déroule ainsi des images que l’on devine venir autant d’Hiroshima que de Fukushima, du Tsunami que du 11 Septembre. Le film a très bien intégré les différentes visualisations médiatiques des catastrophes réelles, sans pour autant insister sur les images alternatives produites par les téléphones portables ou caméras télévisuelles. On remercie également le réalisateur de ne pas être épileptique dans sa mise en scène, notamment pendant une séquence nocturne sur un pont, où l’apparition d’un train en flamme dans le brouillard a quelque chose d’une image gratuite, pendant quelque secondes suspendues au dessus du vide. On retrouva cette impression dans une remarquable scène de plongeon aérien évoquant les ciels apocalyptiques du peintre John Martin.

L’idée que l’énergie nucléaire accumulée depuis plusieurs décennie serve à nourrir les monstres plutôt qu’à les détruire est également une piste intéressante pour déplacer la question vers le rapport qu’ont les humains physiques avec les monstres numériques aux volontés tueuses et destructrices. Cette dimension gigantesque des créatures et leur puissance quasiment équivalente à celle d’une bombe atomique, rend le propos limpide. Les monstres nucléaires provoqueront la fin de l’humanité, plutôt de fait que par volonté, et le monstre pierreux, préhistorique, – Godzilla – est là presque malgré lui et s’acharne mécaniquement à les arrêter. Sa présence en devient alors presque touchante, la menace venant d’ailleurs, seule sa masse représente un danger potentiel et vers la fin du film, quand la caméra s’attarde sur ses yeux, une lueur y brille et vient animer ce corps immense, épuisé par la déferlante de sons et lumières qu’il vient de provoquer et combattre.

Que ce soit le regard de Godzilla ou les têtes des deux autres Kaijus qui se touchent tendrement, il y a parfois une petite étincelle de vie inespérée qui vient poindre dans ces grands corps lourds qui ne peuvent faire un mouvement sans détruire un gratte-ciel. Et cette vie atteinte par le trop plein numérique ne semble plus concerner les humains, un seuil est atteint, il est encore « terrien » mais l’humain y est de trop. Cette lassitude face aux tentatives du scénario de faire des personnages autres choses que des corps en fuite ou combattants, se constate très bien dans de nombreux plans ou la silhouette de l’acteur semble une intrusion en face du projecteur, une amorce renforcée par la 3D, rendant l’impression de ridicule de la petitesse encore plus manifeste. On arrive à un stade où les sous intrigues des personnages ne racontent plus rien qui soit intéressant à mettre en perspective avec la catastrophe. Quelque chose sonne étrangement faux – aussi bien dans les scènes explicatives qu’émotionnelles – dans cette manière de répéter les même dialogues de films en films, de faire se reproduire les même schémas Spielbergiens… Comme si toute cette destruction n’était quelque part pas réellement assumée par les producteurs du film…

Entre le savant japonais qui passe son temps à avoir des révélations, le vieil américain borné qui avait tout compris dès le début, la mère infirmière aimante et protectrice, le jeune patriote… beaucoup de stéréotypes deviennent des bornes obligatoires et le film perd beaucoup de temps. Pourtant, et les images d’autres films catastrophes en tête – ceux de Roland Emmerich, ou même en repensant aux horripilantes scènes d’actions 27 caméras de Michael Bay – Godzilla gagne en sympathie; et non derrière, mais bien en surface du film, sur ses formes variés et son rapport entre l’immensité des monstres et les villes, se dessine une poétique de la limite. Une limite illustrée par la fatigue de Godzilla qui retourne lentement dans l’eau, une conscience des images et de leur déploiement de moyens, de se dire qu’ils ne sont que créations perpétuelles de ruines et de dévastation formelle.

Note: ★★½☆☆

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