On ne peut pas rattraper les erreurs du passé, car l’avenir y est irrémédiablement lié. La nostalgie emplit alors notre raison, sans que la réalité ne nous accorde cette permission si ardemment désirée de réparer des scènes n’ayant jamais dû exister. Vestige sans importance, réminiscences affolées d’un univers qui se déchire de par ses confusions. Méandres invisibles qui marquent à jamais l’esprit, comme un vil rappel à l’inévitable. La chair n’oublie pas, elle ne fait qu’effacer les marques pour que d’autres y laissent leurs empreintes.

C’est ainsi que lorsque Paul Dedalus – anthropologue ayant vécu de nombreuses années au Tadjikistan – décide de revenir en France afin d’y endosser un poste au ministère, des policiers entravent sa route. Paul Dedalus (Mathieu Amalric) est un nom dont l’écho nous est étrangement familier, formidable patronyme qu’Arnaud Desplechin nous fait croiser régulièrement à travers ses œuvres, notamment dans Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) en 1996 et Un conte de Noël, en 2008. Face à un enquêteur des services secrets (André Dussolier) qui lui révèle qu’un autre Paul Dedalus existe, il devra prouver sa véritable identité, et cela sans se perdre soi-même. Il dit « Je me souviens », et ainsi commence son histoire.

Le récit se décline en trois chapitres, chacun construit autour d’un axe chaotique, mais indispensable à la vie. La première partie s’articule autour de l’enfance de Paul et donc par intermittence, de sa famille. Les plans nous dévoilent l’aube de ses regrets, de ses espoirs. Déjà trop mature pour être innocent, trop lucide pour être ingénu. Sans cesse indigné par l’ineptie de sa mère et injustement violenté par la dépression de son père. Nous assistons, impuissants, à une enfance rythmée par des déceptions et des illuminations. Un monde ni noir ou blanc, mais teinté de gris, similaire à l’ambiguïté permanente dont se revêtent nos destins. Et cela rend le film plus crédible, plus touchant, plus réaliste. Si des images pouvaient être empathiques, celles de Trois souvenirs de ma jeunesse y seraient sûrement les plus fidèles oratrices.

Puis vint une partie sur la Russie. Paul est au lycée, il apprend à s’affirmer, à faire ses propres choix, à assumer ses propres principes. Se laissant guider par le sens profond de ses valeurs, il décide de participer à une mission importante lors d’un voyage scolaire à Minsk. C’est ainsi qu’il offrira son passeport à des juifs dans ce qui est encore l’Union soviétique, créant lui-même son double. Ce n’est alors qu’un enfant, dévoré par ses idéaux et inconscient des conséquences. Et lorsque le mur de Berlin tombe, c’est son enfance qui s’effrite, le passage à l’âge adulte. C’est d’ailleurs une des forces de ce long métrage qui parvient à nous raconter une histoire s’étirant sur cinq ans sans jamais s’essouffler et qui dévoile les subtiles étapes d’un enfant qui s’épanouit, mûrit, grandit.

La dernière partie porte sur le sentiment le plus brûlant, le plus ardent, le plus cruel. Paul découvre l’amour à travers Esther. Ensemble, ils possèdent la clarté de ceux qui ont capturé l’aurore. Et le ciel frémit d’être trop grand pour être étreint. Les sentiments se révoltent, se scandalisent. Les émotions deviennent capricieuses, mais jamais ne se tarissent. Ils hurlent cette indifférence qui ne vient pas. Condamnés à être épris l’un de l’autre, ils découvrent ensemble la passion de ceux qui saignent de s’être trop désirés, de ceux qui s’aiment plus que leur vie, plus que la vie. Les paroles ont cet arrière-goût de fatalité, de cendre qui se colle à la langue. Et d’espoir fougueux. L’exaltation des caresses, les lettres veloutées, les regards de tendresse, la frénésie des corps. Et nous observons avec crainte et envie ces deux êtres qui s’enlacent de s’être trop serrés.

Le réalisateur, comme à son habitude, axera la caméra avec affection sur ses acteurs, cadrant leurs visages, saisissant chaque émotion, chaque prunelle, chaque geste dérobé. Et une harmonie éclot entre ce duo de jeunes acteurs encore inconnus du grand écran. Quentin Dolmaire, repéré au Cours Simon et Lou Roy-Lecollinet, approchée grâce à l’option théâtre de sa classe de terminale, nous subjugue par leur justesse, leur générosité et surtout leur ivresse. Trois souvenirs de ma jeunesse, après avoir fait une ouverture remarquée et largement appréciée à la Quinzaine des réalisateurs cette année à Cannes, sortira en salle le mercredi 20 mai 2015, une occasion de revivre vos idylles d’adolescents, les seules qu’on oublie probablement jamais.

Note: ★★★☆☆

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