La première scène de Nightfall est représentative de l’art de la suggestion de Jacques Tourneur et de l’économie de moyens mise en œuvre pour signifier au spectateur des éléments de l’intrigue sur un mode mineur. Le personnage de James Vanning demande un périodique au vendeur d’un kiosque à journaux quand il est surpris par les néons du boulevard qui s’allument, comme un animal pris dans les feux d’une voiture. On comprend instantanément que c’est un homme en fuite, qu’il est recherché. Par qui, pourquoi, tout le sujet du film est là, tout en tension et en nervosité, il ne dure qu’une petite heure et quart.

A de multiples reprises dans le film, la réalisation mise sur ce type d’effets qui suggèrent une menace permanente. Quand les deux voleurs interceptent Vanning dans la rue, leur présence dans le cadre est immédiatement ressentie par le spectateur en jouant avec la profondeur de champ. Quand ils assistent au défilé de mode, le malaise provient du plan de leurs chaises laissées vides qui indique un danger imminent. Enfin, à la fin du film, quand Vanning retrouve la mallette contenant le butin, c’est un pano latéral qui révèle les deux poursuivants qui l’attendent dans une cabane.

Les personnages incarnent des figures caractéristiques du film noir : un couple de héros que la vie n’a pas gâtés, qui aspirent à une certaine forme de normalité, mais qui sont sans cesse rattrapés par leur destin, des gangsters opiniâtres, un détective d’assurance bienveillant qui agit comme un tiers dans le récit et permet au spectateur de rassembler les pièces de l’intrigue. Jacques Tourneur utilise aussi le décor de façon symbolique : la ville est menaçante et nocturne, la campagne du Wyoming est ensoleillée, recouverte de neige comme pour signifier un nouveau départ et l’amnésie partielle de son personnage principal.

Nightfall n’est ni un film spectaculaire (il repose essentiellement sur une économie de moyens), ni un modèle d’originalité (il se coule dans les figures imposées du genre). Ce qui ne signifie pas pour autant qu’il est dépourvu de qualités – la scène du défilé de mode citée plus haut, très hitchcockienne, le décor rural des flash-back – même s’il ne supporte pas la comparaison avec les classiques du film noir de l’époque et que son scénario contient certaines énormités qu’il est difficile de digérer – Vanning touché par balle à la tête laissé pour mort par les gangsters et qui ne se rappelle plus où se trouve l’argent, la confusion entre la mallette du docteur et celle contenant le butin. Enfin, si Aldo Ray apporte une certaine dose d’humanité à son personnage qui le rend tout de suite attachant, son absence de charisme ne lui permet pas de se situer au niveau des modèles du genre (Bogart, Mitchum…).

Nightfall bénéficie d’une sortie vidéo dans le cadre de la prestigieuse collection Classics Confidential éditée par Wild Side. Soit un disque avec le film dans une copie restaurée en 1.85 – format inhabituel pour ce type de films à cette époque réalisés en 1.66 – complété par des suppléments passionnants et un luxueux livret de 80 pages. Celui-ci contient un texte de Philippe Garnier très axé sur David Goodis, l’auteur du roman original et apporte de nombreux éclairages qui permettent de mieux comprendre le film. Tout cela est illustré de documents inédits – reproduction d’affiches, lobby cards, photos de production – qui satisferont les amateurs.

Nightfall, de Jacques Tourneur – Coffret Prestige dvd + Livre (Wild Side Vidéo) – Disponible

Note: ★★½☆☆

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