À la fin des années 70, le punk avait relancé la musique dans une phase euphorique et dynamique. Elle avait ronronné pendant trop longtemps se laissant par exemple emporter par le psychédélisme qui voyait du génie à n’importe quel accord de guitare du moment que ça durait des heures. Il a donc fallu un bon coup de pied dans la fourmilière, qui malheureusement laissera pas mal de cicatrices à leurs auteurs au regard du résultat de cette révolte populaire.

Mais à cette époque cruciale de la musique s’ensuit une autre tout aussi essentielle et qui marquera sans doute encore plus l’histoire tant son influence est encore aujourd’hui présente dans les compositions des contemporains.

Le post punk tranche avec son père. Les sons (et les instruments) sont plus maîtrisés, le texte et l’ambiance plus détachés et désabusés, les émotions plus à fleur de peau et très facilement transmises à l’auditeur.

De cette époque sortiront des groupes majeurs, comme les traditionnellement cités Joy Division et The Cure, mais aussi les Sonic Youth, Siouxie and The Banshees, The Stranglers ou bien évidemment Wire. Et on pourrait en cité bien d’autres ! Tous ont suivi des carrières et des trajectoires bien différentes et ont su créer leur propre univers en évoluant vers d’autres contrées que le post punk.

En réalité, le post punk est vite tombé en désuétude. L’apparition de choses rigolotes, comme les synthés par exemple ou, plus aléatoires comme les Acids par ailleurs, a porté les attentions vers d’autres styles et d’autres ambiances qui ont fait des années 80 la décennie hybride qu’elle restera du coup à jamais. Le post punk vivra tout ce temps dans l’ombre jusqu’à ces dernières années, où enfin l’on sent poindre une mouvance capable de sortir du bois et de porter haut les couleurs du post punk.

Il y a maintenant quelques temps, nous avions eu la chance de voir en concert le très intéressant groupe Parquets Courts qui avait littéralement survolé une des soirées du Festival des Inrocks, à Toulouse. La concurrence n’avait certes pas été très rude, mais les Américains avaient ce soir-là impressionné par leur maîtrise, leur charisme et aussi par la qualité de leur production musicale.

Il y a quelques jours, au Connexion à Toulouse, il nous était donné de voir un très jeune groupe, mais pour autant très prometteur. Nous avions en 2014 déjà été très attentifs – et à vrai dire conquis – par un premier album nommé More than any other day. Une véritable petite pépite qui ose sans, se poser de questions, et qui fait mouche à la première estocade. La naïveté qui s’en dégage est à la fois touchante et impressionnante, car rien n’est en réalité laissé au hasard.

Cet album est l’œuvre de jeunes canadiens, un pays qui après avoir fourni la plupart des groupes les plus excitants de la décennie zéro, s’était un peu oublié… Mais voilà qu’avec Ought, il se repositionne de la meilleur des façons ! Lorsqu’on voit les artistes arrivés sur scène, on est d’abord interloqué par la jeunesse du groupe. La platine avait longtemps fait tourner More Than Any Other Day et même si effectivement il s’agit d’un premier album, la maîtrise qui s’en dégage ne laissait pas présager que c’était le fruit du travail de ce qui semblent être des lycéens qui vont avoir du mal à réviser le bac !

C’est quelque chose de presque inimaginable en France. La culture musicale des pays anglo-saxons est tellement importante et imprégnée en chacun, que les plus jeunes peuvent prétendre à la gloire au même titre que ceux qui ont déjà écumé les expériences de la vie. Leur connaissance musicale impressionnante donne des groupes comme Ought, qui préfère explorer les contrées peu visitées du post punk plutôt que les luxuriantes côtes de l’électro rock ou autre dance commerciale…

Lorsqu’on regarde le comportement durant tout le concert de Tim Darcy et de sa bande, on est tout de suite convaincu du professionnalisme et de l’assurance du groupe. Ought présente lors de cette tournée son tout premier album et on a d’ores-et-déjà le sentiment de faire face à un groupe qui a de la bouteille. Certes, ce n’est pas son premier concert, il a déjà visité pas mal de salles et en est déjà à parcourir un autre continent que le leur, mais tout même, on reste fortement impressionné par cette maturité sur scène.

D’autant plus qu’en ce qui concerne la musique elle-même et les instruments, les jeunots n’ont déjà plus grand chose à envier à leurs aînés. Ben Stidworthy par exemple, a su créer des lignes de basse à faire en faire rêver plus d’un ! Comme sur Clarity!, où la basse tient la corde pendant plusieurs passages ou sur cette très belle chanson qu’est Habit où elle offre l’introduction. D’ailleurs, il se défend fort bien sur scène, sachant attirer l’attention sans en faire des caisses et sans forcément le vouloir d’ailleurs, alors que le sosie jeune non officiel de Jarvis Cocker porte déjà en lui un charisme renversant.

Plein d’assurance, Tim Darcy prend toute son entière place sur scène, non sans avoir au préalable enlevé ses chaussures : il jouera la totalité du set en chaussettes. Sans doute une façon à lui de mieux ressentir les sensations. Un élément anodin, mais qui deviendrait à coup sûr un symbole, si jamais Ought venait à rencontrer un large public. Mais Tim Darcy n’a pas vraiment besoin de cet artifice pour se démarquer. Sa voix est déjà à elle seule un élément fort qui cadre parfaitement avec le style post punk. Mais au-delà de ses qualités personnelles, il envoûte la salle par sa façon de se comporter. Ses petits pas chaloupés sur Today More Than Any Other Day, mais aussi sa façon de pointer du doigt, lorsqu’il chante des éléments qui lui semblent importants, accapare les regards et difficile de s’en détourner.

Ought va tout simplement dérouler durant ce concert tenu de bout en bout haut la main. More Than Any Other Day va être joué dans sa globalité en prenant soin d’apporter tout de même quelques originalités, notamment sur Pleasant Heart, titre d’ouverture de l’album, quasiment le symbole de Ought par son introduction saccadée et tout en rebondissements, qui sera joué ce soir sur un rythme plus enlevé. The Weather Song< emportera le public dans ce rythme endiablé, alors qu’au contraire Forgiveness laissera planer un vent d’incertitude et de contemplation très confortable pour le public. Et pour les inconditionnels, Tim Darcy n’oubliera aucun des petits cris ou des petits chuchotements qui sont présents dans l’album. Le groupe reste malgré tout très fidèle aux compositions de l’album, ce qui déplaira sans doute à certains, qui aimeraient plus de folies.

Mais de folie, on n’en manquera pas tant Around Again et l’incroyable Gemini, sur un finish impressionnant, permettent de faire le plein. Tim Darcy semble par moments entrer en transe, en fermant les yeux pour se laisser transporter par la musique de ses compagnons, avant de repartir en guerre sur ses riffs de guitare !

Peu communicatif avec le public, Tim Darcy s’en excusera sur scène et s’expliquant dans un français trop aléatoire. Le public ce soir-là assez nombreux et plutôt curieux, sera conquis par cette prestation vraiment sans fausse note. Preuve en est par un rappel improvisé et insistant de l’assistance ! Une petite chanson de plus et puis s’en va pour que tous soient satisfait de la prestation, tant dans le public que sur la scène. Et voilà comment un petit groupe encore trop méconnu peut faire passer un moment fort à une poignée de personnes qui n’en demandait sans doute pas tant !

Note: ★★★★½

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