La planète des singes : Suprématie clôt, de la meilleure des façons, la trilogie simiesque en empruntant les voies de la tragédie biblique et de l’apocalypse. Une réussite signée Matt Reeves.

 

Appelées en renfort et dirigées par un mystérieux colonel (Woody Harrelson), des troupes humaines livrent une guerre sans merci à César (Andy Serkis) et sa communauté, réfugiés dans la forêt de Muir Wood, non loin de San Francisco, puis déportés dans un camp.

L’objectif est simple : éradiquer la race des singes de la planète.

Dès les premières images, La planète des singes : Suprématie, à l’instar des deux précédents volets, continue de s’affirmer comme ce qu’il y a de meilleur dans la production estivale des studios.

La trilogie entamée par Rupert Wyatt et déclinée par Matt Reeves ne sonne décidément pas comme les autres blockbusters.

L’ambition y est démesurée.

Une ambition de cinéma, bien sûr, qui se décline dans toutes les composantes du film.

Tout d’abord le souffle narratif et la puissance de l’écriture convoquent sans esbroufe Moïse, Apocalypse Now, La ligne rouge et Le Pont de la Rivière Kwaï.

Retrouver Coppola, Malick et Lean en références d’un film, dont la première vocation est d’être un support de divertissement, se déguste sans faim, comme un braquage de banque qui réussit, pour le cinéphile en quête de grands frissons.

Et le film ne souffre pas de ces références, au contraire. L’écriture les absorbe goulûment avec respect, intelligence et sans en rajouter. Elles donnent de l’épaisseur et du vertige au regard qu’offre le film. Un regard de singe qui se porte sur la folie des hommes et l’extinction programmée de l’une des deux races comme un engrenage absurde dont aucune des deux parties ne peut s’affranchir.

L’ambition, on la retrouve également dans les personnages. Le film se saisit avec brio d’un paradoxe qui est le sien par nature : l’incarnation. La plupart des personnages importants de la trilogie sont des personnages en motion capture. Le pari est d’autant plus fort dans ce troisième opus que Matt Reeves fait le choix de placer l’action du film du seul point de vue des singes. Tout repose sur la force d’incarnation de César et des quatre autres protagonistes qui l’accompagnent dans sa quête de vengeance et de rédemption.

Andy Serkis parvient à transfigurer la technologie pour faire de César un personnage tiraillé par les conflits intérieurs, à l’émotion et à la complexité palpables.

Tout passe par le corps, sa posture, ses déplacements, l’intensité de sa présence car les dialogues sont finalement assez peu développés.

Au travers de César, la dialectique biblique donne une dimension religieuse à l’œuvre. Comme Moïse, César mène la révolte pour libérer son peuple de la servitude et le mener vers la terre promise.

Les autres personnages sont à l’unisson, en particulier Maurice, l’orang-outan, Bad ape, nouveau venu dans la trilogie ou Rocket, le fidèle lieutenant de César.

Woody Harrelson, saisissant, campe un colonel démiurge. Comme le colonel Kurz, il sombre dans une folie destructrice. Celle de l’anéantissement de tout forme de civilisation pour mieux reconstruire un monde replié sur lui-même au cœur des ténèbres. Il se pose comme le double démoniaque de César, sa face sombre, le miroir de ce qu’il peut devenir en laissant exploser son côté obscur.

Il est clair qu’incarnation et motion capture n’ont jamais fait aussi bon ménage que dans cette impressionnante trilogie.

Le tour de magie, on le doit aussi pour beaucoup à Weta Digital qui a su totalement gommer ce sentiment d’étrangeté caractéristique de la figuration du vivant par le numérique. Le niveau d’excellence est ici saisissant. Le film offre un principe absolu de réalité qui permet au spectateur de plonger dans l’œuvre sans aucun effet de distance.

L’univers visuel de ce troisième volet est un sommet du genre. La force plastique du film n’asphyxie jamais la narration et n’étreint en aucun cas l’action. Elle épouse la dramaturgie de l’œuvre avec cohérence et légèreté et propose un monde où se déploie paysages enneigés, forêts naturalistes, villages dévastés et camps industriels.

La mise en scène de Matt Reeves exploite à merveille cet univers.

Dans sa scène d’ouverture, le cinéaste filme le premier assaut des troupes du colonel en instillant une tension qui ne repose que sur l’étrangeté omniprésente de la nature embrassant l’action. Il fait le choix de poser son cadre en évitant la frénésie d’un montage hyper découpé.

L’épilogue, en guise d’affrontement final de près d’une demi-heure, est tout aussi somptueux. En maniant l’art du premier plan et de l’arrière-plan dans un seul cadre, le cinéaste met de l’adrénaline dans sa mise en scène. L’immersion est totale et laisse le spectateur exsangue.

La planète des singes : suprématie se présente comme la conclusion rêvée d’une trilogie qui s’inscrit comme le prequel ultime du chef d’œuvre de Franklin Schaffner et fait oublier les piètres tentatives vues jusqu’ici.

Après Logan, autre réussite de 2017, la Fox démontre que studio, blockbuster et cinéma peuvent encore faire des merveilles.

Note: ★★★★☆

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