Petit à petit, la collection Classic Confidential éditée par Wild Side poursuit son travail de défrichage cinéphilique en empruntant davantage les chemin buissonniers qu’un parcours tout tracé des grands chefs d’œuvre du cinéma. Son objectif : réhabiliter des œuvres méconnues, des pépites cachées grâce à un arsenal éditorial conséquent : films dans des copies remasterisées,  suppléments à foison, livres luxueux et informatifs rédigés par des spécialistes avec une iconographie riche et abondante. Vous connaissiez par cœur Les griffes du passé ? Classic Confidential exhume Nightfall et lui redonne sa place dans la filmographie de Jacques Tourneur. Vous étiez convaincus que La flèche brisée était le premier film « pro indien » adoptant le point de vue de la minorité ? Il faut voir La porte du diable pour réviser votre jugement. Car si les deux films partagent cette même volonté progressiste dans la description des indiens – qui ne sont plus caractérisés comme des bêtes sauvages – et qu’ils sont sortis quasi simultanément, celui d’Anthony Mann se distingue par une vérité historique plus proche de la réalité et un discours ouvertement plus noir et pessimiste.

Première incursion du réalisateur dans le monde du western, ce qui surprend dans La porte du Diable est la façon dont Anthony Mann utilise les conventions du film noir dont il est jusque là davantage coutumier (Marché de brutes, La brigade du suicide…) pour les mettre au service du film de cow-boys. Ainsi lorsque Lance Poole, soldat Nordiste d’origine indienne revient au pays et s’arrête au saloon, la menace incarnée par Coolan, juge démago et raciste est signifiée à la faveur d’un jeu sur la profondeur de champ qui ne nécessite qu’un seul plan pour mettre en place les enjeux dramatiques qui vont suivre. Hérité du film noir, on retrouve également cette science du cadrage et des éclairages hyper contrastés quasiment baroques – lors de la scène très violente de la bagarre dans le saloon – ainsi qu’une certaine forme de fatalisme qui pèse sur le personnage du fait de son passé – souvent un secret caché dans le polar, ici les origines raciales -. Le récit prend alors la forme d’une ligne droite que rien ne peut dévier d’une trajectoire qui conduit à l’anéantissement programmé du héros.

Le film ne s’embarrasse d’aucune fioriture dans la narration : les personnages sont archétypaux (ce qui ne signifie pas qu’ils sont caricaturaux ou manichéens) et les décors réduits à quelques lieux iconiques (la rue centrale du village, le saloon, « sweet meadows » le territoire des Indiens). La plupart du temps très sèche et tendue, la mise en scène d’Anthony Mann n’exclut pas un lyrisme parfois excessif, lorsque Robert Taylor récite un texte qui n’évite pas le pathos sur son attachement à la terre de ses ancêtres. L’acteur est d’ailleurs quelque peu problématique dans le rôle d’un Indien de la tribu des Shoshones : maquillé à outrances malgré le noir et blanc, incarnant ses origines avec une espèce d’idéalisme naïf, de fierté et de noblesse par trop affectée, il lui manque le charisme et l’assurance de l’officier qui revient de la guerre de Sécession. Heureusement, à ce souci de crédibilité ne vient pas s’ajouter l’excès de sentimentalisme qu’aurait pu faire craindre la relation de Lance Poole avec la jeune avocate : le réalisateur relègue la sous intrigue amoureuse à sa portion congrue, tout juste suggérée.

Anthony Mann signe avec La porte du diable une réussite incontestable et un film historiquement charnière dans sa façon d’adopter le point de vue des indiens, même si on peut lui préférer les westerns qu’il réalisera par la suite – Winchester 73, L’appât, Les affameurs, L’homme de l’Ouest – dans lesquels il se montrera plus à l’aise, manifestant un savoir-faire plus conséquent dans le maniement des conventions du genre.

La porte du diable (dvd + livre) – Collection Classic Confidential (WildSide Vidéo) – Disponible

Note: ★★★☆☆

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