Simon : Alors voilà un autre film d’une liste qui s’agrandit tous les mois, celle des premiers films de jeunes réalisateurs français datant de ces 3-4 dernières années. La comparaison avec ceux auxquels je pense est inévitable, mais elle ne me semble pas très intéressante, ici comme pour les autres films de cette mal nommée « nouvelle nouvelle vague ». Je pense que l’intention des Combattants se situe un peu de biais par rapport aux autres, le scénario est plus carré, il y a un désir de comédie populaire très affirmé, tout cela pris dans un double récit d’apprentissage sur fond de supposée fin du monde. Je défendrais volontiers les intentions du film et Thomas Cailley m’est immédiatement plus sympathique que beaucoup de ses congénères, mais j’ai de nombreux « mais » à opposer au film, malgré tout.

Olivier : J’ai un sentiment assez proche. Je trouve l’entreprise déjà beaucoup plus convaincante que bien d’autres de cette nouvelle nouvelle vague, avant tout parce qu’il y a chez Calley une solidité de l’écriture qui fait défaut aux autres et qui tient surtout au rythme. Ce qui me plaît le plus dans le film, c’est ce duo central Kevin Azaïs et Adèle Haenel. D’un côté, ce personnage de Madeleine, bigger than life, excessif, et de l’autre, Arnaud, complètement disponible, un peu innocent, qui l’observe et qui décide de la suivre. C’est un duo crédible et hyper emballant.

Dans ces personnages et le regard que le film jette sur eux, je retrouve quelque chose de beaucoup plus proche de la comédie américaine que des sempiternelles comédies françaises qui sont soit moralisatrices, soit dans un rire surplombant. On ne rit pas aux dépens des personnages en étant flatté dans notre supposée supériorité par rapport à eux. C’est plutôt l’improbabilité des situations, le choc entre des caractères différents qui provoque le rire, et avant tout ce surgissement du personnage de Madeleine, bloc de détermination face à Arnaud qui se laisse, lui, porter par le courant.

Simon : Alors la solidité de l’écriture (qui d’ailleurs se ressent également dans la mise en scène, très « cohérente », sans jugement de valeur au-dessus du mot), c’est un peu le problème du film. Les trois parties se répondent de manière trop théorique, la première dans laquelle Madeleine domine et fascine Arnaud, la deuxième où ce rapport bascule, puis la troisième, sans cadre, ou les deux livrés à eux-même voient leur relation s’équilibrer. Je trouve cet aspect triptyque de l’écriture bien trop intégré au résultat final, tout croule un peu sous les intentions ou plutôt, sous l’intentionnalité du réalisateur d’encadrer psychologiquement ses personnages. Et c’est là le plus gros bémol pour moi. Ce personnage de Madeleine, « bigger than life » comme tu dis, à quelque chose d’abstrait dans la première partie, puis devient la cible d’explications psychologiques par la suite, dans le camp notamment, il y a plusieurs scènes dans lesquelles Arnaud la désamorce verbalement et le film semble appuyer cela, c’est très dommage.

Olivier : Je ne trouve pas ça problématique pour les deux premières parties qui fonctionnent. Par solidité, j’entendais plutôt une qualité du tempo, du rythme, du tonus, comparé à certaines comédies estampillées « Nouvelle nouvelle vague », comme Tip Top qui souffrent d’un gros problème de rythme, où l’on passe de phases d’emballement comique à des moments de véritable ennui. Dans ces films, qui ne me sont pas nécessairement antipathiques par ailleurs, les réalisateurs confondent trop souvent lâcher-prise avec absence de maîtrise. Je suis reconnaissant à Thomas Cailley de ne pas tomber dans ce travers-là et de ne pas oublier son public, ce qui n’a jamais voulu dire le draguer ou verser dans la complaisance. En somme, d’aspirer à faire du cinéma populaire sans être populiste. Le film m’a plutôt déçu dans son intention d’emblée affichée de s’envoler vers l’imaginaire, avec cette promesse d’apocalypse dès le début du film, mais cette promesse n’advient qu’à moitié. La dernière partie m’a déçu. Finalement, le film reste « dans les clous ». Mais tout en ne se différenciant pas vraiment des canons actuels du naturalisme, je trouve que c’est finalement dans les gags qu’il réussit le mieux à s’affranchir du réel, en proposant des visions loufoques comme les poussins congelés passés au micro-onde, par exemple, ou bien la vision ridicule du boudin gonflable du stand des militaires en train de s’affaisser. Calley est réaliste mais il n’a pas de solennité par rapport au réel. Le film ne donne pas tant l’impression de courir après le réel que d’accueillir le réel pour s’en amuser. Je pense à la séquence dans le Bricorama, avec le dialogue autour de la carte de fidélité : le film saisit ce genre de situation dérisoire et ridicule, et j’aime bien qu’on me montre ça, comme ça. Donc à la fois c’est un film très conforme aux normes actuelles d’un certain cinéma français, mais qui fournit quelques antidotes.

Simon : Tu parles de rythme et ça me fait justement penser à la musique que je trouve très, très mal utilisée. Une des toutes premières séquences nous montre les personnages en train de fabriquer le cercueil de leur père, soutenu par une vigoureuse BO techno/rock. les images n’ont aucune force, la musiques vient tenter de créer une énergie que cette séquence et parfois d’autres n’en ont pas. Ça fait partie des défauts majeurs pour moi, et ça concerne directement le rythme, le fait de toujours vouloir relancer le film, le mettre sur un tempo. Des ruptures de ton ou de rythmes auraient vraiment été bienvenues, la dernière partie ne remplit pas ce besoin que j’ai ressenti face à l’énergie parfois/souvent forcée que le film a d’avancer, à l’image des stagiaires soldats qui passent leurs temps à courir. Tout cela a beaucoup de sens encore une fois, mais c’est aussi ce qui parasite le décollage du film vers sa dépsychologisation. Peu importe à la limite que la fin du monde n’advienne pas, mais qu’elle ne serve pas ensuite à n’être qu’un syndrome du mal être et des obsessions de Madeleine. Dommage que, en fin de compte, tout cela ne soit qu’une histoire d’amour, « qu’au fond c’était ça l’enjeu ». Par ailleurs, un mot sur Adèle Haenel qui est décidément extraordinaire et que j’attends de voir dans un rôle réellement burlesque, son corps cinématographique ne demande que ça, et il me semble l’avoir entendu mentionné un désir de burlesque pur en interview. Le film m’a fait rire tout de même et oui, l’image des poussins ainsi que celle qui suit avec la barque sont des exemples de quelques vraies idées plus gracieuses, hors des sentiers que le scénario se borne à suivre. Comme ce nuage gris envahissant le ciel au-dessus de la cabine de recrutement de l’armée : très belle image.

Olivier : Cette volonté de toujours repartir, de toujours relancer la machine ne me pose pas problème et c’est même plutôt ce qui me plaît dans le film. Que ce soit parfois maladroit, notamment par l’usage de la musique, j’en conviens sans problème. Par ailleurs, le film ménage des moments plus posés comme celle avec le chien dans le bar ou encore, celle du maquillage, bien qu’à ce moment-là l’intention soit un peu trop visible. Mais je n’ai vraiment pas envie d’attaquer le film là-dessus.

Quant à Adèle Haenel je la trouve parfaite, le personnage enfermé dans son sérieux buté et qui colle aussi à son corps d’athlète, qui forme une sorte de bloc, est complètement convaincant et marche très bien face à Kevin Hazaïs tout en souplesse, en malléabilité.

On a les gags, on a les acteurs, on a souvent aussi les situations et un certain talent d’observation (Calley « regarde » plutôt bien ses personnages), mais j’aurais bien aimé que le film sorte un peu plus des rails et c’est sans doute en termes de mise en scène que ça fait défaut, ça ne se dérègle jamais vraiment. Puisque les corps sont très impliqués, il y avait sans doute matière à pratiquer un comique plus visuel.

Simon : Je penche plutôt vers l’écriture et le « paquetage » rythmique du film comme défaut principal et la volonté de trop expliciter les actions et de finalement les situer dans une zone naturaliste qui finit par dissoudre l’aspect suprasensible qui se cristallise dans le hiératisme mystique du personnage joué par Adèle Haenel et la fascination que cela créé chez Arnaud. Je regrette que le film ait psychologisé cela. Mais bon, ce « Les Combattants » est très loin d’être un objet détestable et malvenu dans l’actualité du paysage cinématographique français.

Olivier : Mais l’explicitation des intentions du personnage de Madeleine est aussi une source de gag, notamment dans la séquence du dîner, hilarante. ça tient au sérieux avec lequel elle assène que la fin du monde approche et au regard incrédule que les autres lui portent.

Simon : Je ne dis pas que le film est naturaliste, je pense qu’il ne l’est pas. Mais il se dirige vers quelque chose qui serait de l’ordre d’une fidélité à des règles comportementales relevant de l’analyse psychologique des personnages mis dans des situations inhabituelles. Le naturalisme n’a rien de mauvais tant qu’il n’est pas instrumentalisé pour être la condition sine qua non du vraisemblable…

Je suis convaincu que ce film plaira et tant mieux s’il trouve un large public ! il fait rire sans tricher et c’est déjà ça. j’aurais personnellement aimé qu’il ne cherche pas à tout prix à cerner ses personnages, qu’il leur laisse un peu d’air et regarde un peu plus loin que ses intentions scénaristiques. Le film est un peu clos, il s’abrite un peu sous ce que raconte son histoire au premier degré.

Note: ★★★☆☆

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