Difficile pour un réalisateur qui frappe un premier coup aussi important que Lucky McKee avec May d’égaler une telle semonce inaugurale. Sorti en 2002, c’est sans doute le meilleur film d’horreur indépendant de ces dernières années, un vrai film d’auteur, noir, psychologique, poétique, violent, entre Frankenstein moderne et Gus van Sant. Il imposait en outre une actrice hors du commun, une muse, Angela Bettis qui porte le rôle sur son dos avec fragilité et violence, noirceur et naïveté à la fois. On la retrouvera d’ailleurs dans l’épisode qu’il réalisera pour la série Masters of horror, Sick girl, le meilleur des deux saisons au milieu de signatures aussi prestigieuses que John Carpenter, George Romero, Takashi Miike, Tobe Hooper ou Stuart Gordon. La suite de sa carrière illustrera davantage le qualificatif de cinéaste maudit. The woods, exercice de style baroque entre hommage à la Hammer et Dario Argento sera remanié par les studios et Lucky Mc Kee est éjecté du tournage de Red après seulement quelques jours de tournage. Cette expérience est heureusement l’occasion d’une rencontre avec le romancier Jack Ketchum, avec lequel il co écrit le scénario de The woman ainsi que sa novélisation. Il ne manque plus qu’un scandale pour relancer la carrière de Lucky McKee, ce sera la présentation du film au festival de Sundance en janvier 2011 : tout le monde a vu sur Youtube la vidéo de ce spectateur choqué quittant la projection et déclarant à l’organisation qu’un tel film devrait être « détruit et brulé », que c’est une honte faite aux femmes, qu’il est misogyne etc. Le buzz est lancé, The woman  peut entamer sa tournée des festivals précédé de cette odeur de soufre, de ce label qui attise toutes les curiosités.

Bonne nouvelle, le film vaut beaucoup plus que son parfum de scandale et évite la catégorisation « torture flick » dans lequel le buzz l’avait rangé par commodité. Il faut dire qu’on en vient régulièrement à se méfier a priori de ces films dont la réputation est déjà faite avant de nous arriver, et dont les polémiques reposent souvent sur de mauvaises raisons. Le film raconte comment le père d’une famille type du middlewest américain capture une jeune sauvageonne qui a grandi dans la forêt au contact des loups pour l’enfermer dans une cave et « l’éduquer » au contact de la société civilisée. Certes, le film contient son lot d’horreurs et de sévices commises sur la prisonnière : attachée comme un dangereux animal, nourrie comme une bête, lavée au nettoyeur haute pression, humiliée, torturée, abusée sexuellement, elle sert de révélateur de la violence cathartique dont l’homme est capable lorsqu’il n’est pas soumis au regard de la société. Mais le plus effrayant dans le film, ce n’est pas ce qui se passe dans cette cave mais la description de la cellule familiale qu’en fait Lucky McKee, dégénérée et dysfonctionnelle. Il ne s’agit pourtant pas d’un clan de serial killers comme pouvait l’être les Firefly dans les films de Rob Zombie, La maison des 1000 morts et The devil’s rejects, mais bien une famille lambda, a priori bien sous tous rapports mais qui dans l’intimité du foyer, dissimule son lot de mensonges, d’hypocrisie, de frustrations, de secrets cachés, de violences conjugales.

La mère, interprétée par Angela Bettis, est absente, silencieuse, soumise. Le père de famille est l’incarnation du salaud absolu, d’une autorité froide, il fait régner sur la maisonnée une forme de dictature sourde. Le jeune fils vit mal ses frustrations tandis que sa sœur essaie de dissimuler sa grossesse à ses parents. L’hypothèse d’un inceste jette un malaise persistant sans que Lucky McKee ne donne de réponse explicite à ce terrible soupçon. Face à cette possibilité, la mère ferme les yeux, signifié par sa présence en arrière plan ou dans l’obscurité. Lucky McKee illustre cette soumission de la femme dans une scène terrible de cruauté quand en pleine nuit, le mari quitte le lit conjugal pour descendre violer la sauvageonne dans la cave, tandis que son fils l’observe à travers le trou de la serrure et que sa mère pleure sur son oreiller, pas dupe de ce qui se déroule plus bas. Plus tard, le jeune adolescent ira aussi abuser sexuellement de la prisonnière dans une imitation héréditaire des pires agissements paternels. Le dernier acte obéit alors à une logique de violence expiatoire :littéralement libérée de ses chaînes, The Woman massacre la famille dans un excès de violence gore quasi insoutenable. Lucky McKee illustre ainsi la mise à mort des valeurs familiales traditionnelles, la revanche de la femme sur un modèle patriarcale archaïque. Une issue qui met fin au débat sur la misogynie tout en laissant un goût de sang dans la bouche.

Note: ★★★½☆

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