Lorsqu’on évoque les films Cannon sortis dans les années 80, on pense spontanément à toute une tripotée de séries B un peu cheap, avec Jean-Claude Van Damne, Richard Chamberlain, Dolph Lundgren, Sylvester Stallone ou Chuck Norris. Des post-nukes fauchés, des films d’aventure en carton pâte, de l’actioner bourrin et testostéroné, de la tignasse permanentée façon eighties, des grosses pétoires et petites pépés sur les affiches pour attirer le chaland pas trop regardant sur la qualité de la marchandise. Toute une époque dont on se rappelle avec une certaine émotion et une nostalgie à peine coupable. Pourtant, entre les séries American Warriors et Delta Force – quatre films pour le premier, trois pour le second, quand même ! -, la firme créée Menahem Golan et Yoran Globus a aussi produit, entre autres, John Cassavetes (Love streams), Tobe Hopper (Lifeforce) ou Barbet Shroeder (Barfly), dans un sursaut de reconnaissance auteurisante.

Runaway Train restera sans doute la plus belle production Cannon et l’œuvre la plus atypique au sein du studio. Mis en scène par le Russe Andrei Konchalovski, réalisateur polyvalent aussi à l’aise dans la fresque historique que dans la comédie d’action, le film est adapté d’un script initialement écrit par Akira Kurosawa dans les années 60, maintes fois remanié et finalement co-signé par Edward Bunker. On reconnaît-là les préoccupations de l’auteur d’Aucune Bête aussi féroce, lui-même victime du système carcéral et judiciaire américain, incarcéré à de multiples reprises entre maisons de redressement et prisons d’Etat. Il a été le témoin de la violence, du racisme et de l’injustice sociale. Tous ses romans – des chefs d’œuvres, sans exception – disent sans équivoque la façon dont la prison façonne des récidivistes et transforme des hommes – qui n’ont pas d’autre moyen que d’avoir recours à la violence pour survivre – en véritables bêtes.

Jon Voight prononce d’ailleurs la fameuse phase de Nietzsch – « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort » -, dans Runaway Train. Mais on croirait aussi entendre Edward Bunker – qui joue d’ailleurs un rôle de taulard dans le film – dans le discours que l’acteur de Délivrance tient à son complice d’évasion, pour réussir à ne pas se faire prendre une fois dehors, accepter les petits boulots sans rechigner, supporter les humiliations en silence. Ce monologue transpire le vécu dans son écriture, tout comme la description de l’univers carcéral, brutal, cruel, sans concession, qui permet en outre la caractérisation de personnages très forts. Celui de Manny vaut à Jon Voight l’un de ses plus beaux rôles, tragique et émouvant, et le gardien-chef Ranken, pur bloc de haine est le symbole de la machine à broyer pénitentiaire et de la répression aveugle.

Andrei Konchalovski signe une mise en scène très physique et épique, qui doit autant au cinéma américain des grands espaces, dans l’influence de la nature dans le récit et le comportement des protagonistes, qu’au cinéma japonais, dans le regard porté sur la condition humaine et la valeur symbolique des éléments. Nul doute que Tony Scott s’inspirera plus tard de Runaway Train quand il tournera Unstoppable. Le film n’a en effet pas pris une ride, les scènes d’action demeurent très spectaculaires sans rien devoir au tout numérique qui est la norme aujourd’hui. Le suspense est quasi constant, justifié par ce train qui roule à toute allure sans que rien ne puisse l’arrêter. Il acquiert une entité à part entière, massive et incontrôlable, dont la fuite en avant ne peut conduire qu’à une fin tragique. Les dernières images du film produisent un effet durable sur le spectateur, tout comme la citation lourde de sens de Shakespeare qui le conclut : « Même la bête la plus féroce connaît la pitié. Mais je ne la connais point, et je ne suis donc pas une bête ».

Note: ★★★½☆

 

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