C’est deux ans après sa venue au Centre Pompidou que Guy Maddin nous revient, cette fois sur grand écran, avec un nouveau long : Forbidden Room. A noter qu’il était doublement présent à l’Etrange Festival puisqu’il y présentait aussi une carte blanche, composée du Sensuela de Teuvo Tulio mais aussi de Glen or Glenda, du bien connu Ed Wood, ou encore Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia de Peckinpah.

Le film que nous découvrons cette année se découvre comme on ouvre une malle au trésor, mais une malle qui n’aurait pas de fond. La malle, d’ailleurs, prend ici la forme d’une baignoire. Pour commencer, un documentaire pédagogique nous explique « comment prendre un bain » ( ! ). Nous plongeons dans l’eau du bain pour nous retrouver à l’intérieur d’un sous-marin, avant de rejoindre des bûcherons en pleine forêt.

Le film procède ainsi d’un système d’emboîtements sans fin, où chaque récit laisse place à une mise en abîme laissant elle-même place à une nouvelle mise en abîme qui, elle-même… bref. Cette structure nous renvoie bien sûr à la forme du rêve, récits fonctionnant par écho, coq à l’âne et ignorance de l’enchaînement logique.

Mais pour mieux saisir le projet de Maddin, il faut remonter à son origine : donner vie à des films jamais tournés, projets abandonnés de cinéastes tels que Murnau, Vigo, Ozu et d’autres encore. Le cinéaste a ainsi inséré de nombreuses séquences tournées en public lors de ses séances de spiritisme au Centre Pompidou en 2013. Les esprits de ces films-fantômes étaient même invoqués sur le tournage. A noter que le réalisateur s’est doté d’un casting d’enfer : Mathieu Amalric, Charlotte Rampling, Maria de Medeiros et beaucoup d’autres se sont prêtés à l’exercice.

Les habitués du cinéma de Maddin reconnaîtront son goût sans pareil pour l’expérimentation plastique, empruntant leur texture aux copies vieillies de films de l’ère du muet. Faisant feu de tout bois, le film fait cohabiter des personnages qui évoluent simultanément dans un muet et un parlant. Quand Jacques Nolot parle, Slimane Dazi lui répond par le biais de cartons. Mais ce Forbidden Room témoigne d’un intérêt plutôt inédit chez Maddin pour la couleur, qui s’invite ici notamment lors des sensationnelles séquences autour du volcan.

Il y a bien sûr de quoi se perdre dans ce labyrinthe, mais c’est ce à quoi le film invite : perdre le fil. Qu’il est salvateur, enfin, de voir un cinéma où l’on ne peut jamais deviner ce qui adviendra dans la minute qui suit ! Ceci à plus forte raison que l’imagination du cinéaste ne connaît pas de limite : les moustaches font des rêves, les hommes se transforment en bananes, les volcans rendent la justice et la neige a des songes. Alors certains se lasseront (quelques sièges se sont vidés pendant la séance de samedi), et il est vrai que l’exercice peut à la longue fatiguer. Gageons pourtant que Forbidden Room restera, comme un grand livre d’image à ouvrir au hasard, fantasmagorie devant laquelle il fait bon s’endormir pour rouvrir les yeux mieux égaré encore.

Note: ★★★★½

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