Interpol-rdr-2017

La vie est incompréhensible. Alors même que tous les indicateurs annonçaient un temps propice à la pluie, que le calme, annonciateur de tempête, d’une première soirée inaugurale et que de nombreux individus chevronnés se sont succédé deux soirs durant pour faire tomber un déluge de sons et des éclairs de lumières, nous n’aurons finalement connu aucune goutte sur la pourtant réputée côte bretonne pour la 27ème édition de la Route du Rock.

Les idées reçues sont toujours tenaces, mais en ce dimanche, même si le ciel reste menaçant, il faisait bon de déambuler long des remparts de St Malo, de jeter le regard vers l’horizon et vers les jeunes fous qui se lançaient du haut du plongeoir de la désormais fameuse piscine d’eau de mer de la plage du Bon Secours. Le tout évidemment en écoutant la musique du Prieur de la Marne ou de Petit Fantôme programmés ce jour-là par le festival.

Il était bienvenu ce temps, pour se remettre des émotions des trois dernières soirées. Il l’était d’autant plus que le dernier soir qui nous attendait réservait lui aussi de fortes sensations. Même si la fatigue commençait à se faire sentir au niveau des pieds et des jambes, fortement sollicités durant les fantastiques concerts qui nous ont été proposés, c’est avec encore beaucoup d’envie que l’on entre dans le Fort St Père pour clôturer le festival en beauté.

Nous sommes accueillis par une habituée des lieux, la jolie Angel Olsen qui, pour l’occasion, a sorti sans doute l’une de ses robes les plus moches et des lunettes de soleil beaucoup trop grandes pour elle. Elle succède sur scène à The Proper Ornaments qui a remplacé le groupe américain initialement annoncé, The Orwells. L’Américaine qui a publié l’année dernière son 4ème album, My Woman, possède d’excellentes chansons et l’envie était palpable devant la scène. Malheureusement Angel Olsen ne parvient pas à maintenir notre attention qui dévie petit-à-petit vers du désintérêt. Dommage, car sur le papier, tout comme sur la platine, nous étions plutôt convaincus et enthousiastes à l’idée d’assister à ce concert.

Sur la scène des Remparts, cette fois, ce sont des Anglais qui vont essayer de lancer la soirée. Il est vrai que lors des soirées précédentes, le rock garage a largement fait ses preuves, il était donc de bon ton de tenter de nouveau l’expérience. Et pour leur premier passage à la Route du Route, Yak a plutôt rempli le cahier des charges avec l’énergie assez déconcertante de leur leader Oliver Henry Burslem. Ce dernier en fait d’ailleurs sans doute un peu trop pour pour valider le fait que oui, Yak vient du Do It Yourself, du punk rock rebelle, bref des vrais de vrais. Mais ne boudons pas notre plaisir, le spectacle est là et les compositions sont plutôt de bonne qualité.

Place alors au grand fou Mac DeMarco, à qui est réservée une place de choix ce soir, lui qui en 2014 avait joué plus tôt. Nous verrons le concert de loin, le public étant assez dense pour la prestation du Canadien qui se payera le luxe de reprendre une vieille chanson, que tout le monde connaît sans oser le dire, One Thousand Miles de Vanessa Carlton. Cela aura le mérite d’amuser le public, d’autant que Mac DeMarco ne semblait pas connaître plus d’une phrase du texte de ce morceau. Cela dit, il n’en était pas à sa première pitrerie, puisqu’il se serait paraît-il rendu au festival en navette, comme le commun des mortels et aurait partagé un temps privilégié avec de chanceux festivaliers. Audacieux et plutôt sympa comme attitude qui rappelle cela dit que Mac DeMarco n’est pas encore Robert Smith ou Thom Yorke !

Il régalera cela dit un public complètement fan et acquis à sa cause, de quoi faire chauffer les esprits avant ce qui sera le meilleur concert de la soirée et – en compétition avec Soulwax – du festival.

Il y a quinze ans sortait dans les bacs un album magnifique qui fera sensation auprès des initiés avant de s’étendre à un public plus large. Turn On The Bright Lights est le premier album du groupe parfait Interpol, qui, il y a quinze ans, jouait déjà à la Route du Rock pour le défendre. Pour l’anniversaire du disque, les Américains ont repris la route pour jouer en intégralité ce disque inaugural et ils se produisent de nouveau sur la scène du Fort Saint-Père, pour la première fois depuis 2011. C’est donc fébrile que le public venu en masse patiente devant la scène en attendant l’arrivée de Paul Banks et de son groupe. L’affiche est belle, presque trop pour que se soit vrai, mais voyez-vous, la vie est incompréhensible.

Vêtus comme à leur habitude d’un costume sombre, les Américains entrent tranquillement et presque sans un mot, entament le premier titre, Not Even Jail, magnifique chanson issue de Antics, le deuxième opus d’Interpol. C’est donc étonnés qu’on se laisse aller à la délectation, d’autant plus qu’arrive ensuite Take You On A Cruise. Ce n’est qu’au bout de vingt minutes de pur délice que Paul Banks prendra la parole pour expliquer les raisons de la célébration de l’anniversaire de TOTBL.

Résonnent alors les premières notes de Untitled, accompagnées par un éclairage évidemment rouge, en référence à la pochette de l’album. Et nous voilà embarqués dans une histoire hautement forte en émotions.

Sur scène, seul Daniel Kessler est vraiment mobile, les autres étant plutôt dans une posture très figée et sobre. Ça ne bouge pas dans tous les sens, ça ne se jette pas dans le public, ça ne produit aucune fioriture et pourtant, tout le public est concerné, impacté. Toute l’énergie et le sentiment se concentrent sur le son qui est impeccable et d’une maîtrise impressionnante. Ces lignes de basse folles d’un Carlos Dengler qui semble encore être de la partie, cette batterie incroyablement inventive et bien évidemment ces guitares qui terminent un travail déjà excellent, hypnotisent un public qui connaît parfaitement les chansons.

Paul Banks se laissera aller à quelques petits mots très rares et Interpol déroule tranquillement l’album rempli de perles incontournables. On sent le groupe investi et le batteur Sam Fogarino à la fin de Leif Eriksson se rapprochera du micro du chanteur pour lâcher un « Magnifique » avant de rejoindre ses acolytes en coulisse. Le groupe aura finalement le temps pour proposer la très appréciée Evil pour achever ce concert d’anthologie.

Il sera alors bien difficile de poursuivre le festival, car l’émotion était vraiment palpable après le passage d’Interpol. Mais il restera encore trois concerts à voir et un sentiment de satisfaction se fait réellement sentir à ce moment-là, comme repu à la fin d’un bon repas. On se forcera un peu pour le dessert qui ne sera pas des moindres.

The Moonlandingz ne parviendra à nous faire relancer la machine. Il faut savoir qu’une autre pointure se présentera sur la Grande Scène après ces derniers et nous réservons donc nos forces.

Tout vêtus de rouge, les musiciens entrent sur scène et commencent à jouer avant que l’on puisse apercevoir celui qu’on attend tous, lui aussi tout en rouge, à savoir Ty Segall. Désormais un habitué du festival où il est déjà venu en 2015, mais avec son autre groupe Fuzz, l’Américain est donc attendu et désiré dans les remparts du Fort St Père. Fuzz nous avait à l’époque gratifiés d’un excellent concert, et il en sera de même ce soir.

Mais il faut dire que dans le genre rock garage, nous avons largement eu notre dose cette année et la prestation de Thee Oh Sees ne sera pas égalée. Cependant, Ty Segall est toujours formidable sur scène, d’une énergie folle et enthousiaste, il fait le show. Le concert est de bonne facture.

Les esprits et les corps lâchent un peu prise en cette fin de festival forte en émotion et le concert de Tale Of Us en pâtira malheureusement. Traditionnellement, le concert de clôture est très attendu, mais la musique lourde et angoissante des Italiens finira d’achever ce qui reste de vie en nous et nous poussera plutôt dans les bras de Morphée.

Que dire de plus de cette 27ème édition, sans doute l’une des plus abouties depuis la création de la Route du Rock qui aura accueilli au total près de 27 000 spectateurs, ce qui est très proche du record absolu du festival. L’année dernière avait été un peu morose à St Malo, mais comme on le répète la vie est incompréhensible et chaque année apporte son lot de surprises, qu’elles soient bonnes ou mauvaises.

Note: ★★★½☆

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