Avoir Yeezus de Kanye West, le LP1 de FKA Twigs ou encore le prochain Bjork sur son CV, ça impressionne, surtout quand on a à peine 24 ans. Pourtant réduire Alejandro Ghersi et son alter ego Arca asexué à son – talentueux – rôle de producteur serait ne pas lui rendre justice. Car il est aussi et surtout l’auteur prolifique de nombreuses compositions ces deux dernières années, réparties sur divers EPs (notamment les très bons Stretch 1 et Stretch 2) et mixtapes (&&&& parue l’année dernière et qui marquait une évolution importante, très proche de ce qu’on peut entendre sur ce premier opus). Avec Xen, il fait enfin ses premiers pas dans la cour des grands, empli de la promesse d’une œuvre qui va compter dans les années à venir.

Qualifier la musique d’Arca semble être une tâche perdue d’avance tant elle parait insaisissable. Toute bizarre, difforme, voire informe, à l’image de ce corps hybride qui orne la magnifique pochette du disque, elle pioche à la fois dans le Glitch Hop, l’Abstract Hip Hop, l’IDM, l’Ambient, mais aussi la dubstep minimaliste de Burial et le classique strident de Bernard Herrman (la très belle Family Violence et ses violons tout droit tirés de Psychose). Dès son premier album il affiche une identité propre très marquée, qui s’éloigne d’ailleurs du travail qu’il a effectué ses dernières années en tant que producteur, comme s’il avait voulu ne pas dévoiler l’étendue de sa palette artistique. Même si on est sûr et certain, il a encore beaucoup de choses à nous offrir. A l’instar d’un Oneohtrix Point Never, d’un Andy Stott, d’un Burial, ou pour faire un parallèle avec l’actualité, d’un Aphex Twin, Alejandro Ghersi avance tout droit dans un univers qu’il a lui-même fabriqué de toute pièce et l’explore à sa guise.

Xen se compose de 15 titres ne dépassant que très rarement les trois minutes qui sont autant de petites histoires, de petits mondes se déployant sous nos yeux (ou plutôt dans nos oreilles, même si la musique d’artistes a une forte valeur cinématographique). Ce « monde » est justement peuplé de sonorités assez douces, ne cédant presque jamais à la saturation (la très drukqsiennes Fish, Bullet Chained morceau le plus heavy et Xen, sublime titre éponyme), conservant alors une certaine candeur sensorielle (on n’est jamais réellement agressé). Même les ruptures de ton ultra fréquentes dans chaque morceau de l’album (ça en devient même une marque de fabrique) restent toujours claires pour l’auditeur, on n’est jamais submergé par une avalanche de sons. Mais attention, cela ne veut pas dire que l’on ne peut se perdre dans la musique de l’artiste, bien au contraire, on est littéralement transporté de territoires oniriques à d’autres territoires oniriques. Justement, ce rapport aux songes n’est pas anodin, tant malgré l’apparente douceur des sonorités des différents morceaux, l’album est avant tout nocturne et cache en son sein quelques noirceurs merveilleuses. Xen en premier lieu, véritable ode à la rupture de ton et morceau où l’on se perd le plus facilement, tombant vers la fin dans un sentiment d’angoisse assez unique pour ce premier opus. En second lieu Failed, un des tous meilleurs morceaux de l’album, sorte d’ambient mélancolique, lente agonie d’un personnage de science-fiction, qui aurait pu très bien être le thème de la mort de Rutger Hauer dans Blade Runner. On pense forcément au génie d’Eno. Grandiose. Enfin, Tongue et Promise qui clôturent l’album sont deux compositions très nébuleuses où la structure manque totalement, seuls les bruits, les changements de sonorités (d’un piano à une espèce de beat mis à l’envers, pour terminer sur une minute de pure saturation) semblent les gouverner.

Mais Arca sait aussi nous faire danser, ou du moins, pourrait être la musique d’une boite de nuit d’un film de David Cronenberg. Le corps tout en chair débordante de la pochette rappelle d’ailleurs étrangement l’univers si particulier du cinéaste canadien. Des chansons telles que Slit Thru et le single Thievery ont un potentiel radiophonique insoupçonné et tapi profondément au sein de leurs nappes synthétiques. Après tout, Aphex Twin avait bien réussi à sortir un tube avec Windowlicker au début des années 2000. C’est d’autant plus clair ici que les beats saccadés issus du Hip Hop, voire du Dance Hall, arrivent à nous posséder, nous faire bouger, déborder. Nous transformer en cette chose mi-femme mi-homme qui orne l’album. Cette facette de Xen reste mineur bien évidemment et l’album est bien trop bizarre pour en sortir un réel tube mais on ose imaginer avec excitation ce que donnerait une oeuvre plus mainstream d’Alejandro Ghersi dans un futur proche.

Même s’il ne s’agit évidemment pas d’une claque, Xen a le mérite d’être l’acte de naissance officiel d’un artiste bourré de talents, qui risque d’être bien plus que simple hype et peut être un des personnages majeurs de la scène musicale de la prochaine décennie. L’album est suffisamment fourni en originalités fraîches qu’il est indéniable que l’on y retournera souvent, jusqu’à l’arrivée de son successeur. En attendant, Alejandro Ghersi est annoncé au casting du prochain Bjork et la rencontre entre ces deux personnalités bigarrées et excentriques (même si Arca reste assez discret) s’annonce déjà comme un des grands moments de 2015.

Arce – Xen  Disponible  (Mute/ Naïve)

Note: ★★★½☆

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