Premier long-métrage de Brad Bird, prodige passé de l’animation traditionnelle à la prise de vue réelle en passant par la 3D, ce Géant de Fer, adapté d’une nouvelle de Ted Hughes, est une merveille. Un chef d’œuvre qui ressort très à-propos pour les vacances de Noël, allongé de quelques minutes par rapport à sa version sortie en salles en 1999.

Pour quelques cinéphiles, biberonnés auprès d’un certain cinéma américain, une évidente communauté existe entre, mettons, les films de Joe Dante et Douglas Sirk, les productions Amblin et Carpenter. L’échappatoire à la mélancolie par le merveilleux – ou du moins un certain merveilleux, certainement pas celui des sucres d’orges barbants façon Disney, mais plutôt des Gremlins, plus drôles, plus francs, et surtout plus flippants – le serment d’obtenir dans l’aventure la fin de la tristesse, n’est-ce pas ce que promettent Stand by Me, Explorers, Les Goonies ?

Il existe de ces mêmes films une version pour adultes – ou plutôt avec des adultes, car leur spectateur sait bien que peu importe à quel public les films a priori se destinent, lui se sent concerné par eux de la même manière. Cette version avec adultes, ce serait Tout ce que le ciel permet de Sirk, ou Starman de Carpenter. Les veuves ont remplacé les enfants, mais elles aussi trouvent la promesse de la fin de la solitude auprès d’un alien, qu’il soit jardinier issu d’une autre classe ou extraterrestre débarqué sur terre. Dans tous les cas, le cadre est le même, nous sommes en pleine Amérique rurale, celle des petits patelins bien tranquilles. Ça se déroule dans les années 50 ou 80, de toute façon c’est la même chose. Eisenhower ou Reagan. Guerre froide ou guerre fraîche. La trouille de l’autre quoi qu’il en soit, et le déploiement de la pression sociale ou de l’arsenal militaire pour le détruire.

Revenons au Géant de fer. Comme chez Sirk, nous sommes dans les années 50, en Nouvelle-Angleterre, dans cette même Amérique de petites bourgades, à Rockwell, état du Maine, pour être précis. Il n’y a pas jusqu’à la saison – l’automne – qui ne soit identique. Le héros se nomme Hogart, c’est un enfant de 8 ou 10 ans, un cousin de ces garçons qui peuplent les livres de Stephen King. Un gamin gavé de films de SF et de comics, trop doué pour ne pas s’ennuyer à l’école, qui trompe la solitude en tentant de ramener à la maison des animaux sauvages. Un personnage qui colle exactement au portrait-type du cinéfils, de ceux habités très tôt par le sentiment de n’être tolérés que par extrême justesse, et par celui d’appartenir à une autre version du monde, pour citer Daney au mot près. C’est le protagoniste parfait, donc, pour l’histoire à venir. Cette histoire, c’est celle de la rencontre avec un robot géant tombé du ciel, qui a trouvé refuge dans les bois environnants et qui se nourrit d’acier. Hogart découvre le Géant de fer alors que celui-ci manque de périr électrocuté, après avoir tenté de dévorer la centrale électrique justement nichée dans les bois. Le garçon sauve le Géant, et ils deviennent amis. Une amitié qui passe par la protection mutuelle et par l’initiation de l’alien à son nouvel environnement sous l’égide de l’enfant.

Sur ce point, Brad Bird place précisément ses pas dans les traces de Starman. Comme Jenny Hayden avec l’extraterrestre atterri chez elle et qui prend la forme de son défunt compagnon, Hogart enseigne au Géant les rudiments du langage. Il l’entraîne à imiter les gestes, les usages, à composer avec ce monde. Le Géant de fer fait écho à Starman par une scène jumelle : chez Carpenter, l’alien trouve sur le capot d’une voiture une biche tuée par des chasseurs. Chez Bird, alors que dans le cadre idyllique de la forêt, le Géant approche son doigt de métal d’un cerf dans un geste amical, une balle abat l’animal sous ses yeux. Charge au protagoniste humain d’expliquer à son compagnon le rapport que les hommes entretiennent avec le vivant. « Vous êtes une espèce très primitive », rétorque la créature jouée par Jeff Bridges. Le Géant, chez Brad Bird, pourrait faire sienne cette réplique.

Loin d’être anecdotique, la séquence, dans chacun des films, est porteuse de signification et annonciatrice du désastre à venir. Elle décrit un rapport d’hostilité et de conquête entre l’humain et son environnement dont l’alien va lui-même faire l’expérience. Considéré de facto comme un danger à éliminer, le corps étranger, chez Bird comme chez Carpenter, suscite un déploiement des forces militaires visant à son élimination.

Avec son final très sombre, Le Géant de Fer raconte la découverte par un enfant de l’écart entre sa façon personnelle d’appréhender le monde, et celle de la société autour de lui. Plutôt que devenir adulte, cependant, ces enfants choisissent de se réfugier au cinéma. Ils y trouvent une vision du monde qui leur sied mieux. Il y en a même, fous qu’ils sont, qui vont jusqu’à faire des films. Histoire de faire valoir leur point de vue. Comme Brad Bird, dont le très beau Tomorrowland, sorti l’an dernier, est d’ailleurs la suite spirituelle du Géant de Fer. Il faut le voir pour comprendre comment vieillissent, avec les traits de George Clooney, les petits génies solitaires. Mais c’est une autre histoire.

Note: ★★★★★

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