S’il est une chose que le succès du premier volet de L’Âge d’or du cinéma japonais a prouvé, c’est bel et bien l’intérêt du public français pour un cinéma qui attire toujours autant de monde en salles. Le film de patrimoine ayant fait le plus d’entrées en 2016 était une reprise de Mikio Naruse et la rétrospective consacrée à Ozu cet été n’a pas désempli.

Il était donc logique qu’un deuxième volume du dictionnaire dirigé par Pascal-Alex Vincent voit le jour, cette fois-ci consacré aux acteurs et aux actrices qui ont marqué l’âge d’or du cinéma nippon. Écrit à quatre mains avec Tomuya Endo, L’Âge d’or du cinéma japonais volume 2 autorise un autre point de vue sur le cinéma de cette période à travers les biographies de ses plus grands interprètes, et surtout, de par l’enthousiasme communicatif qui se lit dans chaque ligne de l’ouvrage, donne envie de se replonger dans les classiques de ce cinéma et d’en découvrir les trésors cachés.

Pouvez-vous nous expliquer les circonstances de votre rencontre et ce qui vous a décidé d’écrire ensemble cet ouvrage ?

Pascal-Alex Vincent : J’ai rencontré Tomuya Endo quand il était à Paris pour la rédaction d’un livre qui traitait des rapports entre la France et le Japon autour du cinéma et de la musique. Il m’a interviewé pour les besoins de ce livre et c’est à ce moment-là qu’on a sympathisé. J’avais déjà en tête l’idée de faire un deuxième volume du coffret L’Âge d’or du cinéma japonais car le premier a été un véritable succès. J’aime beaucoup les acteurs japonais, encore plus que les réalisateurs. Je cherchais un partenaire pour l’écriture et en discutant avec Tomuya, je me suis rendu compte qu’il connaissait bien les acteurs japonais et qu’il serait un bon partenaire d’écriture.

Comment avez-vous choisi la liste des 30 acteurs.trices du livre ?

P. A. V. : J’aurais bien-sûr rêvé faire 101 acteurs et actrices comme pour le premier volume. Mais cela aurait été beaucoup trop gros d’autant plus que lorsqu’on parle des acteurs, le lecteur veut voir des photos. L’iconographie a donc plus d’importance dans ce volume. J’avais fait un premier brouillon de liste, avec les incontournables comme Toshiro Mifune, Tatsuya Nakadai, Setsuko Hara. Pour les autres, c’est surtout Tomuya qui a ajouté ou supprimé des noms. C’est lui le spécialiste qui connait le mieux l’histoire du cinéma japonais, pas moi.

Tomuya Endo : C’était très difficile de choisir ! Il y a bien sûr les incontournables mais aussi des noms plus méconnus en France comme Hibari Misora qui a fait de nombreuses comédies musicales. Je voulais qu’elle figure dans le livre car c’est une grande star au Japon, l’équivalent d’Édith Piaf en France ! J’ai aussi voulu intégrer Ruriko Asaoka car c’était une vedette féminine emblématique de la Nikkatsu et elle a aussi joué dans des coproductions franco-japonaises, je trouvais donc indispensable qu’elle soit dans le livre. D’ailleurs, elle tourne toujours aujourd’hui.

Pouvez-vous nous expliquer comment les acteurs.trices étaient lié.e.s avec les grand studios ?

T. E. : Ce qui est important de savoir, c’est que les studios formaient les acteurs débutants qu’ils prenaient sous contrat. Ils apprenaient par exemple l’art du kendo, la façon de manier le sabre – qui est différente selon les périodes -, de se vêtir ou de marcher avec un kimono. On enseignait aussi les mœurs, la langue, la façon de parler et les accents qui sont différents selon les provinces et les milieux sociaux.

Beaucoup d’acteurs venaient du théâtre, cela a-t-il eu une influence sur le cinéma du début de la période ?

T. E.: En effet, le cinéma employait à cette époque beaucoup d’acteurs issus du théâtre kabuki (théâtre japonais traditionnel, ndlr) comme Raizô Ichikawa , surtout des comédiens de théâtre de troisième ou de quatrième classe car le cinéma n’était pas considéré comme un art noble, mais impur. Si le théâtre requiert des qualités oratoires, pour jouer les rôles principaux dans des films, il fallait avant tout être physiquement beau, car le cinéma permet de faire des gros plans sur les visages. On remarque ainsi au début du parlant un mélange d’acteurs venus du kabuki ou du théâtre shingeki (théâtre réaliste d’inspiration occidentale, ndlr) qui surjouent de façon très théâtrale tandis que les acteurs formés par les studios qui ont davantage l’habitude de la caméra avaient un jeu plus nuancé. C’était un peu chaotique ! On peut noter aussi ce phénomène dans les premiers films de Renoir.

On apprend aussi dans le livre l’Influence des acteurs.trices français.es sur leur.e.s homologues japonais.es.

T. E : Oui, Haruko Sugimura a été par exemple profondément influencée par Viviane Romance mais Simone Signoret et Jeanne Moreau ont été aussi des modèles pour les actrices japonaises. Dans les années 60, beaucoup d’acteurs appliquaient la méthode Stanislavski reprise par l’Actor’s studio, où l’on demandait aux comédiens d’être très impliqués dans le rôle. Et la grande force de Jeanne Moreau a été de savoir à la fois jouer selon la « méthode » mais aussi dans un jeu plus « artificiel ». C’est pour cette raison qu’elle a influencé beaucoup d’actrices japonaises de cette époque.

À l’intérieur de ce système de studios, les acteurs.trices avaient-ils la possibilité de jouer dans des registres différents ou étaient-ils cantonnés tout le temps aux mêmes types de rôles ?

T. E. : Cela dépendait des réalisateurs avec lesquels ils tournaient. Vous avez dans le cinéma japonais ce qu’on appelle le kata. C’est une forme codifiée que l’on retrouve dans les arts martiaux et chaque cinéaste dispose de son propre kata. C’est normalement le metteur en scène qui donne la direction à ses acteurs.trices mais quand il s’agit d’une grande star, c’est le comédien qui va imposer son kata au metteur en scène. Par exemple, Toshiro Mifune a joué surtout des rôles masculins virils et brutaux, c’est devenu son style dont il a eu du mal à sortir car les cinéastes ne voulaient pas lui donner de rôles de personnages sensibles ou raffinés.

Parler des acteurs plutôt que des réalisateurs, en quoi cela change-t-il le regard qu’on pose sur le cinéma japonais ?

P. A. V. : En France, on a cette grande tradition de raconter l’histoire du cinéma par ses auteurs, dont le statut est sacré, ce qui n’est pas le cas ailleurs. Raconter l’histoire du cinéma japonais du point de vue des acteurs plutôt que de celui des réalisateurs change totalement l’approche. Dans ce volume 2 de L’Âge d’or du cinéma japonais, on comprend d’autres choses sur le système des studios, que les acteurs travaillaient énormément – ils étaient tenus de tourner des dizaines de films par an – et qu’ils étaient castés en fonction de leur type de jeu. Ce livre permet de défendre l’idée que j’aime beaucoup que d’une certaine façon, les acteurs sont aussi les auteurs des films. Quand on dit, un film « Catherine Deneuve », on comprend tout de suite ce que cela veut dire, tout comme un film « Toshiro Mifune », « Chishû Ryu » ou « Setsuko Hara ». Les trente acteurs et actrices du livre ont tous imprimé de façon différente le cinéma japonais. Par exemple, Machiko Kyô a amené quelque chose de très moderne et nouveau, comme Mariko Okada. On peut comprendre l’évolution du cinéma japonais à travers ces acteurs et ce qu’ils ont apporté par leur jeu.

On a l’impression en lisant les accroches pour chaque comédien que vous avez pris beaucoup de plaisir à les résumer ainsi en quelques mots ?

T. E. : Oui, c’était très amusant pour moi ! On les a conçus comme des formes d’haïkus !

Si chacun de vous ne devez retenir qu’un acteur ou une actrice pour lequel vous avez une affection particulière, ce serait lequel ?

P. A. V. : Mon actrice japonaise préférée depuis toujours est Hideko Takamine qui a joué dans tous les grands films de Naruse mais elle a aussi beaucoup tourné avec Keisuke Kinoshita. Elle savait tout jouer et de façon très subtile. Naruse lui faisait souvent jouer des rôles tragiques de femmes éternellement malheureuse mais chez Kinoshita, elle est beaucoup plus joviale, comme dans Carmen revient au pays, qui est le premier film japonais en couleurs. Elle a commencé très tôt, à 5/ 6 ans, et elle a traversé toute l’histoire du cinéma japonais.

T. E. : Moi je dirais Kinuyo Tanaka, qui a beaucoup tourné avec Mizoguchi mais elle a aussi joué dans La mère, de Mikio Naruse. C’est elle qui jouait le rôle éponyme dans ce film et pour moi, elle est la mère du cinéma japonais !

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