Il y a des lustres qu’on avait renoncé à faire les festivals. Les grands rassemblements musicaux estivaux, on a pourtant déjà donné, les Eurockéennes, le Reading Festival…  Question d’âge, sans doute, plus l’envie de passer trois jours sous la tente dans des campings boueux avec les voisins qui martyrisent leurs djembés toute la nuit, les conditions sanitaires douteuses, la météo capricieuse, le son pourri, la saucisse frite dégueulasse,  les programmations qui sur le papier font envie mais tiennent rarement les promesses initiales, les artistes venant cachetonner à bon prix. Et puis ces affiches interchangeables, trustés par les grosses têtes d’affiches fédératrices payées des fortunes, le prix des pass en forte inflation…  Au sein de ce paysage monopolisé par Live Nation, un seul festival nous faisait les yeux doux depuis plusieurs années : le Primavera Sound de Barcelone. Programmation pointue et indépendante, site urbain, cadre idéal, une première annonce qui suffirait à elle seule à faire rougir n’importe quel autre festival (la reformation de Pulp, Animal Collective, The National…), voilà qui achève de nous convaincre de passer un week-end prolongé en Espagne fin mai. Direction la Costa Brava, le soleil, les tapas… et la San Miguel !

Jeudi 26 mai

On s’était fait un programme serré, qui alternait le familier avec la découverte, mais dès l’arrivée sur le site, il faut se faire une raison, on ne verra sans doute pas la vingtaine de groupes prévus théoriquement sur le papier. Il faudra faire avec des contraintes horaires, de circulation sur le site, d’endurance et de fatigue personnelle, les choix seront beaucoup plus draconiens que prévus. D’ailleurs, notre arrivée tardive au Parc du Forum ne nous permet pas de voir Sufjan Stevens dont on a gagné deux places pour l’Auditorium (à la capacité  limitée à 2000 entrées) au tirage au sort. La file d’attente, la pose du bracelet et l’activation de la carte magnétique qui doit nous permettre de valider notre entrée pour Sufjan Stevens et payer boissons et nourriture pendant le festival retardent notre entrée. C’est le point noir du festival dans une organisation par ailleurs sans faille : le système informatique ne fonctionne pas –  l’attente aux bars est interminable, les esprits s’échauffent- il est abandonné dès le lendemain, les sommes crédités sur les cartes sont remboursées tant bien que mal.

Tant pis, on ne verra donc pas le jeune prodige de Detroit qui a donné un concert de deux heures trente à l’Olympia quelques jours plus tôt. On était pourtant curieux de découvrir son spectacle fluo, mégalo et excessif, on profite de notre temps libre pour faire le tour du site et nous familiariser avec les lieux. Première constatation : le parc du Forum est immense et nécessite bien tout ce temps libéré pour en appréhender la géographie. Entre les deux scènes principales, La San Miguel et la Llevant, un bon quart d’heure de marche à pied avec dans l’intervalle nombre de stands de nourriture, de buvettes et de scènes secondaires que l’on aura malheureusement pas le temps de visiter mais où l’on croise dans le public une sous catégorie de spectateurs comme sortis tout droit du même moule : le hipster. Pour comprendre qui est le hipster, autant le décrire car son attitude et sa tenue vestimentaire sont ultra codifiées : jean ou short courts (mi cuisse) ultra serrés, T shirts rétro portant logos de groupes has been ou de slogans ironiques, chemises à carreaux slims boutonnés jusqu’au cou, foulard, sacs portés en bandoulière, lunettes de soleil surdimensionnées, chaussures vintages achetées en friperie ou empruntées à ses grand parents, coupe de cheveux rasée sur les côtés et long sur le dessus, petite moustache ou barbe à la Devendra Banhart. Le hipster est à Primavera ce que le metalleux est au Hellfest, le spectacle n’est pas seulement sur scène, il est aussi dans le public !

Ce premier état des lieux réalisé, on est prêts pour la musique et si l’on a raté les ailes d’ange et les cotillons de Sufjan Stevens, on se rattrape dans le kitch avec les tenues glam rock, les plumes, les confettis et les combats de catch sur scène de Of Montreal , grand chaos foutraque et hédoniste dont on n’aperçoit que les deux derniers titres mais qui interroge sur la différence infime qui les sépare d’un show de… Mika ! Le public semble réceptif à ce happening, on est plus sceptiques face à ce nawak organisé, un peu hystérique et excessif. Plus tard dans la soirée, c’est The Flaming Lips qui posera son propre barnum sur la grande scène du San Miguel : projections psychédéliques, arrangues à l’hygiaphone, entrée du chanteur dans une grande bulle transparente se promenant sur les spectateurs de la fosse, canons à serpentins, on hésite à décrire la situation entre la fête à neu neu, le carnaval et la parade de cirque.   Heureusement, dans l’intervalle, Grinderman, sans accessoires ni fioritures a donné une leçon aux montreurs de foire, avec son rock violent, direct, porté par la performance habitée et charismatique de Nick Cave, qui ne trahit pas la cinquantaine du bonhomme. Le groupe s’empare de la scène physiquement avec l’intention d’un boxeur qui monte sur le ring, l’envie d’en découdre, de prendre le public par le col pour ne plus le lâcher. Il faut voir Nick Cave descendre dans les premiers rangs et leur hurler à la face un « I just want to relax » de malade sur une version de « Kitchenette » d’anthologie. Pendant ce temps, Warren Ellis tape sur ses fûts, agite ses maracas et joue du violon comme un gourou en transe. Ce concert donne la mesure du plaisir des artistes à jouer dans ce festival, l’opportunité saisie de tout donner devant un public de connaisseurs et non pas de consommateurs venus bouffer le gâteau jusqu’à indigestion. « Allez voir Suicide, ils jouent juste après nous », conseille Nick Cave : on ne suivra pas sa recommandation pour préférer  le set d’Interpol sur la Llevant Stage.

Le groupe tourne depuis plus d’un an avec leur nouvel album et ce marathon a croisé deux fois notre route cet automne : une première fois en première partie de U2 à San Sebastian, où Paul Banks et les siens semblaient perdus et paralysés au milieu de la super structure à 360° des Irlandais, une seconde fois dans la salle du Bikini à Toulouse. Ce soir, si le chanteur est presque méconnaissable de fatigue et que le line up a encore changé (c’est le deuxième bassiste qui joue sur cette tournée), Interpol semble manifestement mesurer l’enjeu, heureux  d’être invité une nouvelle fois à Primavera et porté par un public venu nombreux pour entendre les tubes du groupe. Le concert alternera avec une efficacité redoutable les morceaux issus principalement des deux premiers albums, avec les nouveaux titres (au nombre de cinq) et un inédit (« The length of love »). Le groupe conclut un set copieux d’une heure vingt avec une triplette « Slow hands », « Not even jail », « Obstacle 1 » imparable.  Les horaires tardifs (voire matinaux !) de Sunns et Girl Talk nous dissuadent de prolonger la nuit, d’autant plus que le concert d’Interpol a dépassé nos espérances, on privilégiera l’endurance et le repos pour entamer la suite des hostilités dans de bonnes conditions.

Crédit Photo : Tom Spray

Note: ★★★★½

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