En Amérique du Nord, le terme  » tomboy  » désigne un fille qui a des comportement de garçon. Dans ce film, il s’agit bien d’une fille mais à cette différence près qu’elle ne se fait passer pour un garçon alors qu’un tomboy tout le monde sait que c’est une fille. Là réside tout le nœud psychologique du film : même le personnage principal, Laure/Mickaël, magistralement interprété par Zoé Héran, ne sait pas vraiment où il en est.

Comme naître homme ou femme est le fruit du hasard, du pile ou face génétique, c’est ce hasard sous la forme de Lisa, voisine du nouveau quartier où elle à tout juste emménagée avec ses parents, qui lui tendra la perche pour céder, en un bref instant, à la tentation d’être autre chose que ce que la nature lui a imposé : être une fille.  » On ne naît pas femme, on le devient  » disait Simone De Beauvoir : Céline Sciamma, la réalisatrice du film, en fait la preuve par quatre en prenant le problème à l’envers : et si on décidait d’être autre chose que ce qu’on est ? Laure sera Mickaël avec tout les  » problèmes techniques  » que cela pose. Le point de vu du film est celui de Laure/Mickaël avec laquelle la réalisatrice nous met en position de la complicité, du secret. A chaque scène où elle risque d’être découverte, nous craignons avec elle et nous nous réjouissons aussi des solutions qu’elle trouve pour garder ce secret.

Il faut dire que le casting de la réalisatrice est particulièrement réussi : Zoé Héran est physiquement parfaite pour ce rôle  » d’androgyne « , un ange de beauté et d’ambiguïté. D’ailleurs, tous les personnages du films sont admirablement choisis, tous ont cette crédibilité, ce réalisme, qui leur confère une vérité dans le récit et les relations entre eux, cette retenue dans le jeu qui fait émerger leurs sentiments les plus profonds sans qu’il soit nécessaire d’en dire trop. La mise en scène de Céline Sciamma est exemplaire à ce titre, du grand cinéma où c’est l’image qui parle. Avec un sujet pareil, il aurait été facile de tomber dans le  » téléfilm à thème  » trop explicatif et sirupeux ou dans la comédie idiote mais tout passe par l’intense expression des comédiens et une manière de montrer qui évite tout pathos, toute lourdeur, tout mélo. Les corps sont filmés auprès, à la distance charnelle, qui permet au spectateur d’être dans le cercle de l’intimité même des personnages. Aucune musique d’ambiance ne vient souligner,  » troubler  » allais-je dire, des sensations et sentiments qui sont visibles à l’œil nu tant l’image est limpide et claire.

Que dire aussi du travail de lumière qui restitue les deux mondes où vis le personnage : tons chauds et sombres d’un monde familial apaisant, presque utérin, en contraste avec la vive lumière du monde extérieur, tranchante et excitante. Ce contraste est celui du monde intérieur du personnage, de son aller-retour entre ses  » potes  » et sa famille, entre le besoin de tendresse et celui de s’imposer comme personne.

Tout est donné à voir et à entendre dans ce film, que ce soit le trouble évident de Laure quand elle affirme à Lisa qu’elle s’appelle Mickaël, que ce soit la proximité avec le père (Mathieu Demy, sobre et rassurant) dans cette simple scène où elle conduit assise sur ses genoux, que ce soit cette distance avec là mère illustrée par ses répliques en voix off, que ce soit par cette scène symbolique où la mère offre à Laure la liberté sous la forme d’un double de la clé de l’appartement familial, clé des champs… Il s’agit aussi de cela dans ce film : comment assumer sa liberté, s’assumer soi-même, au travers du choix délibéré du mensonge ?

Le film nous révèle aussi la jouissance, les compromis et l’inventivité de ce mensonge qui fait tout en son pouvoir pour affirmer sa… vérité… une vérité qui passe par le trouble identitaire et sexuel de cet âge où il faut entrer dans la relation au monde étant en relation avec un soi qui n’est pas encore sur de lui. La scène où Laure/Mickaël se fabrique un sexe avec de la pâte à modeler qu’elle rangera après utilisation dans la même boîte que ses dents de lait est révélatrice de ce paradoxe entre le désir de changer et celui de demeurer innocent.

Le film se boucle d’ailleurs sur cet affrontement à la vérité, sur cette impossibilité d’être deux en une seule personne, pile et face en même temps, mais aussi sur cette complicité féminine qui fait que les femmes sont dans l’empathie et la recherche de compréhension alors que les hommes s’affrontent et jugent. Tomboy est un film qui nous dis que c’est peut-être là qu’est le chemin qui pourrait mener à la rencontre des deux sexes.

Note: ★★★★★

partager cet article