Versatile Mag : Denis Côté, vous avez d’abord été critique de cinéma, cela influence t-il votre cinéma ?

Denis Côté : Il est sûr que j’ai ingurgité une grande quantité de cinéma durant cette période et que j’ai réfléchi longuement sur ce qu’était le cinéma. Maintenant, on peut dire que je régurgite cela dans mes propres films et que sûrement, il y a des influences de tous ces auteurs que j’ai vus et analysés, dans mes premiers films certainement plus que dans celui-ci. Je commence, après 5 films, à savoir ce que je ne veux pas dans un film et, un peu, à comprendre ce que je veux y mettre.

On croit reconnaître une certaine parenté avec des auteurs comme Aki Kaurismaki, Bouli Lanners, est-ce le cas ?

Vous savez, et surtout comme je l’ai dit précédemment, on peut difficilement ne pas être influencé dans ce monde. Mais ceci dit, oui, je reconnais que dans ce film, ma façon de poser les choses, un regard sur les gens ordinaires et un certain humour retenu, une manière de dérouler l’action, il y a une parenté mais je ne crois pas que je sois sur le mode  » dérision  » mais plutôt sur une sorte d’étude de mœurs et de psychologie du personnage.

Vous vous intéressez surtout à des personnages marginaux ?

Au contraire, je crois que les personnages de mes films sont des gens très ordinaires qui vivent des moments intérieurs hors de l’ordinaire. Ils sont plutôt inadaptés que marginaux. Comme ils sont ordinaires et qu’ils n’ont pas de recul intellectuel ou de réflexions philosophiques sur leur conditions, ils s’arrangent pour trouver les solutions qu’ils peuvent à leurs peurs, leurs incertitudes et leurs angoisses. Ça relève parfois de l’absurde, souvent de l’incongru mais jamais de la folie. Je dirais que mes personnages ont de la  » maladresse  » psychologique, du bidouillage artisanal de leurs inquiétudes, pour tenter de vivre avec celles-ci avec les petits moyens qu’ils ont. Ils sont juste un peu décalés par rapport à une réalité qui, en fait, est décalée pour nous tous, car nous nous débrouillons tous pour vivre avec nos angoisses, chacun à sa manière.

Les cinéastes que j’ai cité précédemment sont des cinéastes nordiques, diriez-vous que le nord, l’hiver, influence aussi votre cinéma et les comportements de vos personnages ?

Ce qui est certain, c’est qu’au Québec nous vivons entre 5 et 7 mois à une température extérieure de -20° en moyenne, ce qui fait que nous sommes souvent enfermés chez-nous et que nous nous replions un peu sur nous même. Je crois que ça forge le caractère donc celui de mes personnages puisqu’ils sont aussi québécois. L’hiver est un personnage récurrent de notre cinéma, c’est celui-ci qui nous porte à la compromission plutôt qu’à l’affrontement : c’est déjà tellement dur de vivre par ce temps, qu’on ne va pas, en plus,  » polémiquer  » et se poser des questions qui nous mettrons encore plus mal ! Chez certains, ça facilite la rencontre, la conversation, chez d’autres, plus sensibles, ça créé de la distance et une sorte de détachement contemplatif qui les protègent des agressions de l’extérieur.

Ce film, par rapport à vos précédent, semble plus dirigé, moins  » sauvage « …

C’est sur ! Il y a un certain budget sur ce film, plus que ceux que j’ai fait précédemment, il fallait prévoir, structurer et diriger davantage. Pour certains films que j’ai faits, je suis parti avec 2 ou 3 copains, une caméra et 150 $ en poche et vogue la galère. Ce sont des films plus improvisés et qui font appel à la débrouillardise. Ici, il y a une vraie équipe de tournage, avec des « vedettes » (Emmanuel Bilodeau, personnage principal du film, est très connu au Québec). Là, je ne pouvais pas me permettre d’improviser. Mais il ne faut pas croire que tout est contrôlé de but en blanc, l’inconscient est toujours à l’œuvre quand on est dans la création.

C’est à dire ?

Prenez la scène où le père et la fille mettent de la musique. J’ai choisi des pièces que j’aimais sans me poser de questions. Ce n’est qu’une fois que le film fini, entièrement monté, que je me suis rendu compte que les deux chansons que j’avais choisies parlaient de solitude et de deux personnes en tête-à-tête, dans un cocon hors du monde ! Ce n’était pas prévu et heureusement que ces petites parts d’aléatoire se glissent dans un film, ça donne toute son humanité aux créations, à l’art.

Votre comédien principal joue dans ce film avec sa propre fille, est-ce quelque chose que vous avez voulu dès le départ pour créer cette relation très intime ente eux ?

Non, pas du tout ! Au départ, le personnage de la fille avait plutôt 6/7 ans, elle parlait avec sa poupée de ses secrets. C’est Emmanuel qui a insisté pour que sa fille joue avec lui. J’ai donc réécrit le rôle pour une fille de 15/16 ans qui forcément n’allait pas parler à sa poupée. C’est là que je me suis aperçu que, finalement, elle n’avait pas besoin de parler de ses secrets puisque le spectateur en est témoin. Du coup, cela a donné de la force à ce personnage et allait tout à fait dans le sens de ce que je voulais faire de cette histoire. Et, pour répondre à la question, ça créé une intimité très forte entre eux. Elle ne fait pas une performance extraordinaire de comédienne, mais elle est très juste, très vraie, ça renforce ce sentiment d’enfermement du couple père-fille.

Beaucoup de choses, d’intrigues, restent en suspend dans votre film, ne sont pas résolues comme dans un scénario classique de film, des cadavres congelés dans la forêt, un enfant mis dans un coffre de voiture, un tigre dans la neige… Pouvez-vous nous en dire quelque chose ?

(Rire) D’abord, c’est totalement voulu, comme je connais bien les attentes du public sur la plupart des scénarios à l’américaine, j’en joue. Ma mise en scène joue aussi avec le public, je veux les désarçonner, les méconduire et me servir en quelque sorte de leur « conditionnement » aux produits américains qui vous prennent par la main et vous conduisent du début à la fin sans réfléchir, pour obliger les spectateurs à la distance, à se poser des questions… Comme les personnages d’ailleurs, sur ce qu’ils ont vu, sur ce qu’il voient, les intégrer à la vision qu’on du monde les personnages du film. Vous savez, ce que j’aime au cinéma, en tant que spectateur, c’est qu’il me reste à la sortie du cinéma, une part énigmatique du film, une sorte d’enchantement, d’envoûtement qui parle plus à la part inconsciente et poétique de moi-même. Je ne fais pas du cinéma pour refaire ce qu’ont fait les autres, ni pour rassurer le public. Je fais du cinéma pour m’interroger et interroger le cinéma.

Souvent, dans les festivals, je rate les projections de mes films pour voir ceux des autres réalisateurs et, la plupart du temps, je ne reste pas pour le débat. Ce qui m’intéresse vraiment, ce n’est pas les intentions du réalisateur, ni une analyse en profondeur des intentions de l’auteur mais le mystère du film.

Entretien réalisé par Sylvain Fournel le 22 octobre 2011 à Guichen

Curling, actuellement en salles

partager cet article