Versatile Mag : Quelle est l’idée de départ ?

Christophe Ruggia : Mon idée était avant tout de rendre un hommage au film noir, celui des années trente qui a ensuite évolué dans les années soixante-dix qui est l’époque des thrillers politiques et dans laquelle des films comme Macadam Cowboy et Un après-midi de chien m’ont considérablement marqué. On retrouve aussi la forme du film noir dans des œuvres de science-fiction comme Blade Runner et elle s’incarne aujourd’hui dans Drive et dans le cinéma de Michael Mann. Tous ces films s’intéressent à des gens qui sont en marge de la société.

C’est le milieu dont je suis issu, mon père était soudeur à Eurocopter quand j’avais quinze ans dans les années 80. Il vivait continuellement dans la peur de faire partie d’un plan social et d’être mis en pré-retraite. Il n’aurait pas touché un rond et n’aurait pu que survivre dans ces conditions.

J’ai voulu partir de ces personnages que je connais bien pour montrer les dégâts qu’ils vivent de l’intérieur, dans un tel contexte : les histoires d’amour qui explosent, la peur constante des plans sociaux qui se succèdent. Et puis mon film s’est ensuite nourri des effets de la crise de 2008, des affaires politico-financières, l’Angola-Gate, Clearstream. J’ai écrit encore deux versions du scénario pour intégrer tous ces éléments dans la narration.

Clovis, aviez-vous en tête les mêmes références que citait Christophe Ruggia pour incarner votre rôle ?

Clovis Cornillac : En tant qu’acteur, je n’essaie pas de trouver des références, c’est après que ces références s’imposent à moi. Je suis d’ailleurs très mauvais imitateur, donc je ne me pose pas cette question de la référence, je ne recherche pas de modèles pour construire le rôle. Le fait d’être acteur c’est aussi être ouvert à tout ce qui se passe autour de vous et le milieu qui est décrit dans le film ne m’est pas étranger. Ensuite, dans la construction du rôle, il y a l’histoire, la rencontre avec le metteur en scène, les partenaires. Et puis surtout, le plus important par dessus tout, il faut que je croie dans le rôle.

Sinon, je suis très sensible au genre dont parle Christophe Ruggia, en tant que spectateur, j’aime beaucoup ne pas m’ennuyer et sortir du cinéma en ayant matière à réflexion. Mais malheureusement, je trouve que les tentatives de cinéma de genre en France sont plus mal accueillies que celles qui nous viennent d’Outre-Atlantique, qui bénéficient d’une sympathie plus immédiate. Je vais vous donner un exemple : j’ai joué dans Le Nouveau Protocole, un film qui dénonçait les agissements de certains laboratoires pharmaceutiques. On donnait des noms, mais le film n’a créé aucune polémique, alors que tout le monde s’extasiait devant The Constant Gardener sur le même sujet ! Alors certes, on ne peut pas revendiquer la qualité d’un film, mais je trouve cette situation injuste.

Pouvez-vous nous dire comment la question de la morale se pose dans votre film ?

C. R. : Dans le film, chaque personnage incarne une certaine conception de la lutte ouvrière : Farid est celui qui croit au combat collectif, Henri s’est radicalisé, il menace de faire sauter l’usine où il travaille. Max est complètement désocialisé, il s’est fait licencié de son poste trois ans auparavant, a perdu sa femme, son fils, sa maison. C’est quelqu’un de désespéré pour qui la violence est la seule solution. Franck vit dans la peur, celle de connaître la même trajectoire que son ami Max. C’est aussi celui qui comprend les trois autres personnages. Hélène, sa femme, est tout le temps dans la construction, elle recherche sans arrêt des solutions.

C. C. : La relation entre Franck et Max est très intéressante, c’est celle de quelqu’un qui voit son meilleur ami partir complètement du mauvais côté, qui n’est plus du tout en contact avec la réalité, mais qui continue de l’aider, le soutenir en toutes circonstances. C’est aussi la même relation qu’il y a entre Franck et sa femme. Elle condamne certains de ses actions mais elle le soutient parce que c’est son mari, qu’il a décidé de se révolter alors qu’il vivait jusque là dans la peur. Dans ce couple en crise, l’amour renaît à ce moment là et c’est pour cela qu’Hélène choisit d’aller à l’encontre de sa propre morale personnelle.

Mais le film n’excuse pas les actes violents que commet Max, le message n’est pas : «Faites comme Max et vous verrez, votre vie ira mieux ensuite». Certes, il ne faut pas agir comme Max, mais tout en haut, il ne faut pas non plus agir comme ces grands patrons qui ont un fonctionnement qui relève de la voyoucratie. L’absence de morale aux plus hauts échelons est plus grave selon moi, car un ministre aura plus de facilités pour faire sauter son PV pour excès de vitesse que le citoyen lambda. Je crois que ça envoie de mauvais signaux aux gens.

Clovis, vous avez co-produit le film ?

C. C. : J’ai lu la toute première mouture du scénario qui date d’il y a cinq ans, c’est un projet de longue haleine, un morceau de vie. Le projet m’a tellement emballé que j’ai renoncé à mon salaire d’acteur pour co produire le film et obtenir des pourcentages sur les recettes. Sinon, le film n’aurait pas pu se monter, il n’existait pas. Il y a beaucoup de cascades, des scènes spectaculaires, il fallait tourner dans les Calanques, faire venir le matériel, louer des hélicoptères, tout cela coûte de l’argent. Donc il m’a paru naturel de renoncer à mon salaire pour que les moyens se voient à l’image.

Dans la tourmente, actuellement en salles

Note: ★½☆☆☆

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