Dans C’était mieux avant, sur son dernier album, Daniel Darc s’imagine renaître en mutant de la Marvel. «Quand j’étais gamin, j’étais obsédé par la Torche Humaine, nous dit-il, mais aujourd’hui, avec les coups que je me suis pris, dans tous les sens du terme, je serais plutôt La Chose». Il est vrai que les épreuves ont dû tanner l’épiderme du chanteur comme la pierre orange qui recouvre le héros des Quatre Fantastiques, dure et résistante, ne le rendant pas insensible pour autant, mais plus apte à se battre, à développer des capacités de survie quasiment sur-humaines. Il faut bien ça pour endurer les overdoses à répétition, la drogue et la prison, une chute de sa mezzanine à son domicile qui lui a laissé le dos en vrac… Lui-même s’étonne d’être encore en vie, «Ça n’est jamais gagné ! Regarde Whitney Houston, ce sera peut-être moi le prochain !».

La renaissance a eu lieu en 2003, avec Crève cœur, qui mettait un terme à dix années d’absence. Un album où la beauté et la luminosité des mélodies et des arrangements contrastait avec la noirceur des textes, qui décrivait la proximité de la mort. Ce disque était aussi celle de la rencontre avec Frédéric Lo, qui produisait l’opus suivant de Daniel Darc, Amours suprêmes. Mais la collaboration entre les deux sentait déjà le roussi : «On n’arrivait plus à travailler ensemble, Frédéric Lo et moi, c’est comme ça. Ce n’est ni sa faute ni la mienne». On imagine chaque album de Daniel Darc posthume. Pourtant, il revenait en octobre dernier avec La taille de mon âme, un titre magnifique pour un album produit par Laurent Marimbert. L’association semblait a priori improbable – on doit à ce dernier le Partir un jour des 2B3 de sinistre mémoire- et on se demandait logiquement comment leurs univers respectifs allaient fusionner.

«C’est Christophe [le chanteur, ndlr] qui a voulu me présenter Laurent Marimbert. Il avait déjà travaillé avec lui et ça lui semblait évident qu’on pourrait faire des trucs ensemble. Je l’ai rencontré chez Christophe, un soir. Il s’est mis à jouer au piano et ça m’a tellement plu qu’on s’est vus dès le lendemain chez lui, pour enregistrer. Tout s’est ensuite passé de façon très spontanée en studio. Le micro était branché en permanence pour capter des textes qui n’étaient même pas écrits avant que je les chante. Au moins 50 % de l’album a été improvisé, j’avais plein de feuilles devant moi, des refrains, des mots, des phrases. Pour un titre comme My baby left me, il y aurait pu y avoir quatre versions des paroles différentes».

Le disque est très cinématographique, on y entend des extraits de Les enfants du paradis, le rythme obéit à des mouvements spécifiques, les prises improvisées en studio fonctionnent comme des dialogues ou des apartés avec l’auditeur, le luxe de production sert d’écrin à la voix de Daniel Darc. «Laurent et moi sommes très marqués par le cinéma, on parlait plus en terme de mise en scène qu’en terme musical. L’album pourrait être la bande son d’un film qui n’existe pas». La légèreté des mélodies, l’humour et l’aspect ludique de l’album sont une nouvelle fois contrebalancés par des sujets plus profonds, comme la perte, le deuil et des références à la religion. Sur la pochette, Daniel Darc est à genoux dans une église. «J’ai foi en Dieu, oui. Pour la pochette, je n’ai pas pensé à la prière catholique, mais plutôt à Harvey Keitel dans Bad Lieutenant de Ferrara, qui est mon réalisateur préféré».

La voix se fait de plus en plus gainsbourienne, la référence absolue. «Pendant cinq ans de ma vie, je n’ai écouté que Gainsbourg, du matin au soir. Aujourd’hui je ne peux plus. Mais en France il n’y a que lui ! Je peux te citer des dizaines de groupes anglo-saxons, mais ici, le seul, c’est Gainsbourg !». La taille de mon âme pourrait-il être la première étape d’une nouvelle phase pour Daniel Darc ? «Je ne sais pas si on réussira à retravailler comme ça, Laurent et moi. C’est lié à un moment, une rencontre. Ce que je sais, c’est que je voudrais maintenant sortir un album par an, aller plus vite». L’étape actuelle, c’est celle de la scène, Daniel Darc a repris la route après une résidence à Sannois où il a répété et arrangé les nouveaux titres pour l’expérience du live. «Je suis toujours mort de trouille au moment de monter sur scène, mais ce serait pire de ne pas y aller, alors je me fais violence. Rémi Bousseau, mon pianiste est le chef d’orchestre et moi je suis au milieu du groupe, je les encourage à faire ce qu’ils veulent, le plus possible. On n’a vraiment pas l’impression de travailler».

Pourtant, c’est du boulot et même, du beau boulot.

Propos recueillis le 13 février

Daniel Darc, en tournée dans toute la France – Le mercredi 29 février à Toulouse, Le Bikini

« La taille de mon âme », dans les bacs

Note: ★★★★☆

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