Le film

« Quand est-ce que tu feras enfin le deuil de cet amour ? ». Dans n’importe quel film, Camille aurait répondu à se mère « Jamais ». Dans Un Amour De Jeunesse, Mia Hansen-Løve choisit de couper avant même qu’elle ne prononce un mot. Elle filme son actrice en gros plan, insiste sur ses yeux qui viennent de lire, huit ans après, la seconde lettre de rupture de Sullivan. La caméra s’attarde sur son visage, et, une fois de plus sur ses larmes. Et aucun mot n’est nécessaire pour dire la plaie encore à vif, pour signifier l’absence de cynisme de Camille. Elle n’a pas réussi à se construire une carapace. Mais pourtant, ce visage là, ces larmes là, ces yeux là montrent qu’elle avance, qu’elle n’est plus la même qu’au début du film et qu’elle est prête, sans doute, enfin, à vivre pour elle-même.

A l’image de cette scène qui clôt presque Un Amour de Jeunesse, Mia Hansen-Løve est partout dans son film. Dans cette économie de mots. Dans cette recherche du rythme parfait. Dans cette faculté à laisser une scène en suspens. Dans l’importance donnée aux lieux. Dans la volonté appuyée de baliser le récit chronologiquement, comme s’il s’agissait d’un accouchement qui ne prendrait pas neuf mois mais presque neuf ans. Dans la musique, organique. Dans la recherche d’acteurs aux accents caractéristiques (Sullivan, sa mère, Lorenz, …). Dans son énergie à sublimer Magne Harvard Brekke et, surtout, Lola Créton, immédiatement immense. Elle ne s’impose pourtant jamais, ne cherche pas à faire deviner sa présence, ni à créer une signature visuelle. La démonstration de force cède la place à la pudeur. (LIRE LA SUITE)

Le dvd

Tout d’abord, il faut parler de l’objet DVD tel qu’on peut le tenir entre les mains, car il est manifestement pesé, réfléchi jusqu’à ses moindres détails. C’est un digipack cartonné à deux volets, dont l’intérieur est majoritairement blanc : sérigraphie du disque, couverture du livret, photo de Lola Créton, couleur de la robe de l’actrice et du mur devant lequel elle marche. Un style épuré à l’extrême qui correspond à l’évidence au style du film. Le livret ensuite, de 28 pages, qui contient des extraits choisis des dialogues, les paroles de trois chansons du film, mais dont le plus intéressant est le segment intitulé Camille et l’architecture. On y trouve plusieurs superbes textes extraits de Du béton et autres secrets de l’architecture qui illustrent les propos de Lorenz lors de son cours sur la lueur, le rapport de la lumière à l’obscurité dans le processus de création. Un autre extrait de Ornement et crime s’attache aux différences entre la maison et l’œuvre d’art : on ne peut pas s’empêcher de repenser au propos de la réalisatrice dans l’entretien qu’elle nous avait accordé : «Le cinéma est quelque-chose que je construis et dans lequel j’aimerais habiter». Tout ceci est richement illustré par des photos choisies qui servent le texte.

Spontanément, nous sommes tentés de penser qu’un seul supplément pour un tel film, c’est peu. Et un bonus audio, de surcroît ! Pourtant, à l’écoute de l’émission Hors champs de Laure Adler datée du 20 mai 2010, on ne peut qu’admettre la pertinence de ce choix pour le DVD. Mia Hansen Love y est d’une justesse de propos et d’une profondeur d’analyse et de pensée absolument inouïes. Elle s’impose instantanément comme une auteure qui construit une œuvre d’une grande cohérence et d’une intelligence incroyables pour son jeune âge. Deux extraits audio viennent illustrer les intentions de la réalisatrice. Le premier où Eric Rohmer parle de son rapport de la parole à l’image, le second où Robert Bresson commente un texte de Pascal, L’âme aime la main, sur les automatismes opposés à la pensée de l’acteur. Mia Hansen Love évoque son travail avec les comédiens qui vise à effacer autant que possible ce qui relève de l’intention et l’importance qu’elle attache au physique, qu’elle justifie par une «transparence absolue entre le corps et l’âme». Elle revient aussi sur le début de son rapport au cinéma qui correspond à son interprétation dans Fin août, début septembre d’Olivier Assayas qu’on a immédiatement envie de revoir !

Dommage simplement que ce bonus ne soit pas proposé en téléchargement afin de le podcaster et de l’écouter sur son balladeur, plutôt que devant un écran fixe. Dommage aussi que les propos de la réalisatrice ne soient pas mis en relation avec des interviews des acteurs – qui sont tous excellents dans le film – et dont on peut les entendre parler des méthodes de travail de Mia Hansen Love sur le tournage, pour parvenir à une telle vérité. Ces réserves sont bien peu de choses comparées au plaisir du film, prolongé par une édition DVD d’une telle qualité.

Un amour de jeunesse, de Mia Hansen Love – Un dvd Pelléas (disponible)

Note: ★★★★★

partager cet article