Samedi 2 juin 2012

Après la déception Mazzy Star du premier jour, Sharon Van Etten est le deuxième couac d’un festival dont la mécanique tourne par ailleurs parfaitement. Quand elle monte sur la scène San Miguel en cette fin d’après-midi du samedi, la chanteuse s’écrie : « C’est l’endroit le plus horrible où j’aie jamais joué. Je croyais que faire Primavera était cool, en fait, c’est de la merde ! ». On n’est même pas sûrs que les propos sont à prendre au second degré tant elle donne l’impression d’avoir le melon. « Qui est venu ici juste pour me voir, levez la main ! », demande-t-elle au public où seulement quelques spectateurs se manifestent. Pourtant, il faudrait que la demoiselle remette très vite les pieds sur terre, car si elle a pour elle un joli filet de voix et une évidence mélodique qui se manifeste ponctuellement sur quelques titres (Warsaw, Give out, Serpents), le song writing qui se veut intense et personnel manque encore cruellement de corps et de tripes. C’est joli, soigné, bien produit, mais ça ne parvient jamais à égaler le modèle PJ Harvey qui savait à son âge exprimer ses états d’âme avec une sauvagerie qui vous saisissait à la gorge d’une autre manière.

« Welcome to my annual vacation » lance Bradford Cox au début de son set. On l’a effectivement croisé la veille au milieu de la foule, serrant des paluches, tapant la causette avec des festivaliers, le sourire aux lèvres. Régulièrement invité à Primavera Sound avec son groupe Deerhunter ou avec Atlas Sound, son projet solo, le chanteur est ici dans son élément, joue à domicile pour filer la métaphore footballistique. Seul sur scène, il commence par jouer « une chanson de chez lui », une balade folk qui nous fait craindre le set gag – il a repris quelques semaines plus tôt My Sharona de The Knack dans une version de près d’une heure en rappel d’un concert à Minneapolis, performance qui lui vaudra de déclarer plus tard au webzine Pitchfork que son rôle est de « sodomiser la médiocrité ». Heureusement, dès qu’il commence à faire tourner les boucles avec sa guitare et à produire des beats en tapant sur le caisson de sa six cordes, nous sommes rassurés, Atlas Sound revient à son répertoire et notamment à celui de son troisième LP – magnifique – Parallax. La façon dont il parvient à installer seul un tel paysage sonore, avec des loops, de la réverbération et sa voix de crooner est impressionnante. Et nous fait dire, après la prestation de Dirty Beaches la veille, que les projets solos sont ceux qui auront le plus durablement marqué nos esprits pendant le festival.

C’est la quatrième fois cette année que nous voyons Dominique A en live, après les deux concerts à Fouesnant et un au Théâtre de la Ville de Paris en janvier dernier. Son dernier album, Vers les lueurs n’était pas encore sorti, le chanteur fêtait ses vingts ans (de carrière, hein!) en rejouant La fossette et en présentant son nouvel opus in extenso, dans une forme de raccourci formidable entre le minimaliste des débuts et l’opulence des arrangements à vents de son dernier. Il y a toujours quelque chose d’un peu particulier dans ces concerts en avant-première, où la découverte et la première écoute d’un morceau implique une certaine forme d’attention qui ne permet pas un plaisir inconditionnel, même si l’on avait repéré dès le début que Vers le bleu, Close West ou Ce geste absent étaient des classiques instantanés. Depuis, Vers les lueurs est sorti, tourne régulièrement sur nos platines et s’est imposé de fait comme un jalon indispensable de la discographie de Dominique A qui pourrait le faire passer du statut d’artiste du milieu à celui de grand chanteur populaire. Ce que confirme le set de ce soir, joué pied au plancher, où Dominique A et son groupe au grand complet (le quintet à vents a fait le voyage) lâchent les chevaux avec une énergie hallucinante et communicative, survolant la concurrence haut la main et s’imposant comme l’un des meilleurs moments du festival. Il faut voir la réponse du public, espagnol pour la grande majorité, nombreux et enthousiaste, pour se convaincre qu’une étape est franchie, vers le succès, la lumière et la reconnaissance du grand public.

Erreur de programmation un peu plus tard sur la scène Mini : on croise sur son chemin les spectateurs qui reviennent du set de Beach House, laissant la place quasiment vide et déserte pour Hanni El Khatib. Le chanteur américain – de père palestinien et de mère philippine – met toute son énergie à jouer son garage rock sec et direct devant à une petite centaine de spectateurs. On a de la peine qu’il ne trouve pas ici son audience, car si la musique n’invente rien – trois accords de guitare, un son sans fioritures – le chanteur renouvelle la forme de la musique traditionnelle américaine des années cinquante avec un talent incontestable qui fait de son album, Will the guns come out l’un des meilleurs de l’an dernier, dont chaque morceau est un tube en puissance. S’il termine son concert devant un public plus nombreux, on ne peut pas s’empêcher de penser que l’expérience aurait été plus dense et fiévreuse sur une scène plus modeste. Dommage.

« Primavera Sound, more or less the best time we’ve ever had on stage. Utterly, utterly unhinged and insane. Much much love to you all ». Le tweet que poste Wild Beasts quelques minutes après son concert barcelonais résume bien la situation. Le groupe a reçu l’un des accueils les plus fabuleux du week-end, une liesse incroyable ou tout le monde dansait au son de la synth-pop des Anglais, dans une grande fête hédoniste et décomplexée. On regrette simplement que The lion’s share ne fut pas joué mais le morceau n’aurait pas trouvé sa place dans un set privilégiant l’immédiateté et l’efficacité et une tendance à gonfler les basses qui a découragé les premiers rangs à s’installer contre les barrières en l’absence de bouchons d’oreilles.

On voudrait prolonger le plaisir mais c’est déjà presque fini. Après avoir jeté un rapide coup d’oeil à Washed Out sur la scène Pitchfork, très convaincant avec son electronica nostalgique qui vaut beaucoup mieux que l’image de hype branchouille que le groupe se trimballe, on termine la soirée avec Jamie XX. Il commence à jouer le son de son dernier EP Beat for/ Far nearer sorti sur le label Numbers pour ensuite diriger son set vers des intentions beaucoup plus axées sur le clubbing. Le public est très alcoolisé à cette heure tardive de la nuit, les produits circulent sans complexe, nous préférons quitter le site et le festival avec des souvenirs plein la tête, du son plein les oreilles et avec une seule envie : revivre l’expérience… Car pour une vingtaine de concerts auxquels nous avons pu assister, à combien de groupes avons-nous dû renoncer ? The walkmen, The wedding present, Yo la Tengo, Codeine, Franz Ferdinand, Liturgy (on voulait vraiment se faire un concert de metal !), Beach House, Dirty Three, Death in Vegas, SBTRKT, Chromatics, Death cab for cutie… Il aurait fallu six jours complets pour profiter de tout, jusqu’à plus soif. On n’attend désormais plus qu’une chose : la prochaine édition. On va pouvoir recommencer à guetter les premières mises en vente de billets (qu’on achètera les yeux fermés), les premières annonces de groupes, à réserver le logement et le transport pour le dernier week-end de mai 2013… C’est loin, l’année prochaine !

Note: ★★★★½

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