Versatile Mag : L’idée de départ, était-ce de réaliser une métaphore du coup de foudre, de la fusion ?

Valérie Donzelli : L’idée est de faire un film sur la dépendance affective, la fusion. Un film en mouvement et dansé, quelque chose de plus léger après La guerre est déclarée. Je voulais aller vers une comédie dans laquelle je ne jouerai pas le rôle principal. J’ai écrit le rôle d’Hélène Marchal pour Valérie Lemercier. C’était un défi de la diriger car je ne la connaissais pas du tout comme actrice. J’ai besoin d’ingrédients pour démarrer un projet et ici c’était : Valérie, Jéremie et l’Opéra Garnier.

Jérémie Elkaïm : Ce besoin d’ingrédients, ça rejoint ce que disait Montaigne : «La contrainte pousse à inventer». Avec Valérie [Donzelli], nous sommes également très attentifs au stade de l’écriture à ce que tout reste au premier degré. Nous ne voulons jamais avoir de cynisme vis à vis des personnages même si ça entraîne parfois des situations désuètes ou burlesques. L’autre chose qui est importante pour nous, c’est la filiation entre le personnage et celui qui l’interprète, faire venir les gens avec leur sac, ce qu’ils sont dans la vie. C’est le cas pour Valérie Lemercier qui s’est reconnue dans son rôle. Cela me fait penser au film La Poison. On a tendance à penser que c’est la Nouvelle Vague qui a introduit une forme d’impertinence dans le cinéma français, mais le générique de ce film de Sacha Guitry est d’une inventivité folle ! Il revient dans les décors du studio et présente tout le monde, des acteurs aux machinos. Quand il introduit Michel Simon, il a cette phrase qui dit en substance : «C’est fou à quel point on ne peut pas faire l’économie de ce que vous êtes dans la vie. Vous êtes un acteur-soudure. On ne sait pas à quel moment vous jouez, quand il faut dire action ou couper». C’est ce que nous essayons aussi de faire.

V. M: Main dans la Main a été tourné très rapidement après la sortie de La guerre est déclarée. Vous avez été portés par quelque chose de ce dernier pour faire celui-là ?

V. D. : Nous avions en effet la volonté d’avoir quelque chose à faire au moment de la sortie du film car il nous engageait de façon très intime. C’est une histoire biographique, on ne voulait pas cacher la vérité, mentir aux gens sur ce qui nous était arrivé. Mais au moment du montage, j’étais assez bouleversée, j’ai eu peur que les gens ne le comprennent pas ou entrent dans une forme de détestation du film. On s’est dit alors avec Jérémie que le meilleur remède serait d’avoir un autre projet qui nous occuperait pendant la sortie. On avait aussi très envie de repartir avec la même équipe que pour La guerre est déclarée, qui nous avait permis de rencontrer Edouard Weil, notre producteur et Wild Bunch qui l’a distribué. C’est comme une petite famille dans laquelle nous avons inclus un élément nouveau, Valérie Lemercier. Ce que nous n’avions pas prévu en revanche, c’est le succès de La guerre est déclarée qui nous a plus accaparés que nous le pensions. Il est sorti le 31 août 2011, le tournage de Main dans la main devait commencer le 15 octobre mais nous avons dû adapter le planning du tournage en fonction de ces obligations.

J.E. : On voulait que le film soit une sorte de laboratoire en mouvement. Cela part de l’idée qu’on tourne un film contre son scénario et qu’on le monte contre son tournage. C’est une vérité du tournage de celui-là qui s’invente au fur et à mesure. C’est réellement de l’artisanat, avec beaucoup de générosité dans l’écoute, l’entente, le dialogue. Les gens qui y participent sont réellement engagés dans le film. Il y a un aspect aussi très bricolé qui correspond tout à fait à Valérie. Quand je l’ai rencontrée, elle fabriquait des petits livres qu’elle distribuait en cadeau à ses amis. Elle y mettait des choses très fortes, c’était très beau mais avec un aspect bidouillé, du scotch en travers des feuilles, des collages, des choses comme ça. On retrouve cela dans son cinéma.

V. M. : Ce qui est évident dans tous vos films, c’est la formidable énergie qui s’en dégage. Tourner en petite équipe avec le côté troupe dont vous parlez est-il une des conditions pour véhiculer ce sentiment d’énergie ?

V. D. : Tout à fait. Ce qui me plaît dans le métier de réalisatrice, c’est partager mon enthousiasme et véhiculer mon désir aux gens. Et j’aime quand les autres le prennent et le font leur également. Les acteurs ne viennent pas pour cachetonner sur mes films. Tous les gens de l’équipe ont la même vision et c’est ça qui est beau.

V. M. : Comment êtes-vous devenue réalisatrice ?

V. D. : Je pense que si je n’avais pas rencontré Jérémie je n’aurais pas été réalisatrice J’avais commencé des études d’architecture, mais je n’avais pas la foi suffisante. Mais j’avais envie de faire quelque chose qui relevait de l’ordre de s’amuser, d’inventer des choses. Je suis entrée au conservatoire et là, je rencontre Jérémie qui m’a conseillé d’arrêter les cours de théâtre…

J. E. : Je ne me mens pas sur l’hypothèse qu’on peut s’ennuyer au théâtre. Parfois on a plutôt l’impression d’être pris en otage. Quand il y a du fond, quand c’est moderne et protéiforme, il m’arrive très souvent d’être ému. Mais je considère qu’il y a un trop fort respect pour le théâtre qui empêche de dire que c’est ennuyeux même quand ça l’est vraiment. J’aime penser aux gens pour qui on fait les choses. C’est comme quand on fait une surprise à quelqu’un, il faut penser à elle pour lui faire plaisir.

V. D. : Ensuite, Jérémie m’a fait découvrir le cinéma Nous avons visionné beaucoup de films, nous en discutions beaucoup. J’ai donc commencé à écrire des histoires, mais je ne comprenais pas encore le principe de l’ellipse. Le moment où j’ai assimilé cela a été une véritable révélation C’est dans les raccourcis que naît l’émotion, et ça me permet d’avoir une temporalité très élastique dans mes films. Je ne pense pas du tout à d’autres réalisateurs quand je fais des films. Il y a dans le passage à New-York un plan qui fait effectivement référence à Il était une fois en Amérique, de Sergio Leone, mais c’est un hasard total dont on s’est rendus compte après coup. Pour Main dans la main, j’ai tout de même pensé à Woody Allen, à sa façon dont il filme les villes comme des cartes postales pour donner ma propre vision d’un Paris magnifié. Ensuite, c’est vrai que le ton du narrateur peut faire penser à Truffaut mais ça reste de l’ordre de l’inconscient.

V. M. : Qu’est-ce qui vous plaît dans la direction d’acteur ?

V. D. : J’aime quand les personnages sont humainement corrects et qu’il y ait une politesse dans le jeu. Je ne cherche pas le naturalisme mais plutôt une incarnation, notamment dans le phrasé. J’aime quand le parlé n’est pas quotidien…

J. E. : …Ce qui n’empêche pas d’être ému ! Dans tout le début du film, je crois que les acteurs ne s’écoutent pas parler, même si les phrases sont très écrites, chacun joue sa propre musique, vient avec ce qu’il est réellement. C’est quand Hélène Marchal dit : «Parce que je ne voulais pas que ça s’arrête» qu’on commence à s’écouter et je pense que le moment est beaucoup plus fort. C’est une question de variation.

V. M. : Parlez-nous des décors du film.

V. D. : Je n’ai jamais travaillé avec un vrai décorateur dans un studio car ça m’évite déjà de prendre des décisions. Le fait d’être dans un décor existant, c’est très pratique car le budget décor d’un film peut être très élevé. J’aime tourner dans des décors réels car ils donnent du réalisme dans mes films qui ne le sont pas forcément, ça les crédibilise. Main dans la main n’aurait pas pu se faire si nous n’avions pas obtenu les autorisations de tourner à l’Opéra Garnier. Il y a dans le film une opposition entre ce décor très riche et ceux de la province à Commercy. Il magnifie aussi certaines scènes, leur apporte un côté féerique et fantastique qui donne du sens à la fable.

V. M. : Comment avez-vous travaillé les scènes de danse pour le film ?

J. E. : On n’avait pas l’ambition de faire Black Swan 2 ! On voulait surtout utiliser des gestes quotidiens car Main dans la main n’est pas un film sur la danse mais sur le lien amoureux, avec deux personnages antagonistes dont le seul point commun est qu’ils sont tous deux des empêchés sentimentaux. On est sans doute un peu naïfs car on ne se rend pas compte quand on écrit dans le scénario « Joachim danse » de l’investissement que ça va demander en amont. Nous nous sommes enfermés dans un studio de danse pour travailler dur. Quand on danse, on instaure un rapport d’une grande intimité avec son partenaire, on connait son corps, ses odeurs, c’est presque de l’ordre du rapport amoureux qui crée de l’empathie. Une fois cette complicité instaurée, nous avons pu travailler la synchronie qui pour le coup est davantage de la chorégraphie pure. Valérie [Donzelli] ne voulait pas que cette synchronie soit parfaite, elle voulait qu’il y ait des décalages. C’est très joli car ça implique un autre degré de lecture du film où les personnages ne seraient pas sous le joug d’un sortilège.

V. D. : Concernant la chorégraphie de Pina Bausch qu’on voit dans le film, elle correspond parfaitement au personnage de Joachim qui est plutôt opaque et discret. Cette scène est très émouvante car elle dit quelque chose de lui. Il a découvert cette chorégraphie sur internet, l’a répétée tout seul dans sa chambre sans savoir qu’il allait la jouer devant quelqu’un un jour. Quand il danse devant Hélène Marchal, c’est un moment qui lui donne beaucoup de force. J’aime Pina Bausch car elle considérait la danse comme une déviance du quotidien, elle faisait aussi appel à des danseurs non professionnels. Qu’elle utilise la langue des signes, qui est aussi un langage du corps, pour en faire une chorégraphie, je trouve cela magnifique comme idée.

Propos recueillis le 14 décembre 2012 à Toulouse

Main dans la main, en salles le 19 décembre

Note: ★★★½☆

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