Ce qui surprend systématiquement avec Quentin Tarantino, c’est la façon dont il déjoue toujours les attentes initiales du spectateur. Quand il annonce le projet Grindhouse avec Robert Rodriguez, il réalise avec Boulevard de la mort un film féministe inattendu dans un tel contexte, tout en respectant les codes du cinéma d’exploitation. Quand il se décide à mettre en scène son grand film de guerre, alors qu’on anticipait un récit dit « de mission », sur le modèle des 12 salopards, il livre une œuvre post moderne sur la puissance du cinéma comme medium capable de vaincre le nazisme. Django Unchained n’a pas grand-chose à voir avec le classique de Sergio Corbucci, il n’en reprend que quelques motifs pour traiter d’un sujet important de l’histoire américaine, l’esclavagisme. Il est de bon ton d’affirmer que Quentin Tarantino a atteint la maturité parce qu’il se coltine l’Histoire avec un grand H. Pourtant, il faut admettre qu’il est essentiel depuis Reservoir Dogs.

Qu’il fasse des films sur le mode ludique ou « sérieux » ne change pas grand-chose à son talent intrinsèque de metteur en scène érudit, ayant une connaissance profonde et un respect toujours affirmé des genres qu’il réinvente avec une absence totale de cynisme. De toute façon, même s’il reçoit désormais l’approbation d’une partie de la critique qui le vilipendait autrefois, il n’en continue pas moins de susciter le débat, accusé de révisionnisme quand il tue Hitler dans Inglourious Basterds ou de racisme parce que le mot «Nigger» est prononcé plus d’une centaine de fois dans Django Unchained. Quentin Tarantino n’est pas près de faire l’unanimité – y compris parmi ses admirateurs – et c’est tant mieux, c’est le signe d’un cinéma non consensuel qui s’autorise toutes les libertés.

Avec Django Unchained, Quentin Tarantino n’est pas loin d’avoir réalisé son meilleur film. En tout cas, il est logique qu’il s’approprie le genre du western spaghetti avec lequel il a déjà frayé notamment dans Kill Bill volume 2. Mais comme à son habitude, il s’en approprie les gimmicks pour les digérer à sa façon et les réinjecter dans son cinéma de façon intime et personnelle. Impossible cependant de faire l’impasse sur les passages obligés que sont les cavalcades et les duels au pistolet, il nous offre ici SA séquence de gunfight opératique qui a autant à voir avec Sergio Leone qu’avec les chorégraphies made in HK de John Woo. On ne se refait pas, Quentin Tarantino mélange les références et les influences à l’envi et quand il décide de tourner une poursuite en voiture ou une fusillade, c’est pour leur redonner leurs lettres de noblesse.

Cinéaste de l’action qui se pose les défis les plus audacieux – la scène du House of the Blue Leaves avec The Crazy 88 dans Kill Bill Volume 1, Zoe Bell sur le capot de la voiture pendant la course-poursuite de Boulevard de la Mort –, Quentin Tarantino est aussi un immense dialoguiste qui aime jouer avec les mots et un directeur d’acteurs hors pair. On entend de plus en plus fréquemment qu’il serait devenu exagérément verbeux, ce qu’on a du mal à admettre car Quentin Tarantino a toujours été loué pour la qualité de ses répliques, devenues cultes pour la plupart. Dans Django Unchained, il joue avec les différents niveaux de langage de l’époque – celui rustre des cow-boys en opposition avec le parler aristocratique de Christoph Waltz produit des situations savoureuses -, les jeux de mots mythologiques – le Brunnhilde de l’Anneau des Libelungen devient Broomhilda – et organise une nouvelle scène de dialogue anthologique autour d’une table, son leitmotiv depuis Reservoir Dogs. D’une construction dramaturgique redoutable, la séquence du repas permet à Leonardo DiCaprio et à Samuel L. Jackson de s’en donner à cœur joie, le premier dans un registre quasi méphistophélique et dans celui de la pire pourriture black pour le second.

Django Unchained est le premier film de Quentin Tarantino à ne pas être monté par Sally Menke, décédée il y a deux ans et qui collaborait avec le réalisateur depuis le début. Elle occupait un poste absolument essentiel dans la réussite de ses films étant donné les structures éclatées complexes qu’il affectionne particulièrement. Ici, la narration est plus classique et linéaire, ne s’autorisant que plusieurs flash backs traumatiques. Les deux heures quarante du film passent en un clin d’œil, mais il faut dire un mot du dernier acte que certains trouveront redondant alors qu’il donne tout son sens au film et sans lequel le projet de Quentin Tarantino ne pourrait pas s’accomplir. D’aucuns auraient préféré que le film s’achève sur le climax qu’est le gunfight, mais cette dernière partie est précisément l’acte fondateur de la libération de Django. Après avoir été affranchi pour le Dr Schultz et accompli son apprentissage aux côtés de celui-ci, il peut revenir tel un super héros iconique se venger de ceux qui l’ont privé de sa liberté dans un final qui revêt alors une fonction cathartique. «Cela pourrait être mon chef d’œuvre», disait Brad Pitt à la fin d‘Inglourious Basterds, explicitant clairement le point de vue de Quentin Tarantino sur son propre film. On serait tenté d’affirmer la même chose à propos de Django Unchained qui est un nouvel accomplissement incontestable du réalisateur, dont se demande toujours comment il fera pour se surpasser, mais qui nous surprend à chaque fois en élevant encore le niveau de son cinéma.

Note: ★★★★½

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