Une prise d’otage, voilà le sentiment de spectateur que nous a laissé Les bêtes du Sud Sauvage. Prototype même du cinéma indépendant à l’imagerie « Sundance » que l’on exècre, le film confond systématiquement la recherche d’énergie avec l’agitation permanente, l’observation juste du monde de l’enfance avec le chantage affectif, l’émotion avec le pathos, l’exaltation de la solidarité des pauvres avec le misérabilisme le plus crasse, la naïveté d’une gamine de six ans avec un discours new age grotesque. Il faut lutter pendant l’heure et demie que dure le film pour arriver au bout d’une expérience à ce point insupportable et nauséabonde.

On déteste spontanément Ben Zeitlin, réalisateur de la chose pour nous pointer ainsi son flingue sur la tempe en guise de chantage à l’émotion. La jeune Hushpuppy écoute le cœur des petits animaux ? Comme c’est mignon ! Elle prononce en voix off les sentences les plus ridicules sur l’état de l’univers ? La brave gamine ! Son père qui est aussi son unique famille se meurt d’une maladie ? Comme c’est triste ! Ben Zeitlin n’évite aucun recour aux procédés les plus honteux pour se mettre le spectateur dans la poche, mais ne propose en revanche aucune autre idée de cinéma que la caméra à l’épaule pour justifier ce soi-disant bouillon de vie. Mais en fait de mise en scène, c’est un vulgaire brouillon indigeste auquel on assiste, dépourvu de toute notion de cadre et de rythme.

Car ce que savent tous les grands réalisateurs – et donc pas Ben Zeitlin – c’est que tout est affaire de variations dans un film, ce qui permet aux « grands moments » d’émerger, se distinguant de ce qui précède et de ce qui suit. Au lieu de quoi le réalisateur de Les bêtes du Sud Sauvage ne cesse de secouer sa caméra sans discontinuer comme seule intention de mise en scène. L’exercice atteint ses limites avant même le générique de début, c’est dire le calvaire auquel il nous soumet. Et comme si un tel artifice ne suffisait à convaincre, il pousse le volume musical à fond, tout le temps, sans ménager aucune plage de silence qu’on appelle pourtant de tous nos vœux, et qui ne vient jamais.

Mauvais filmeur, Ben Zeitlin n’est pas meilleur directeur d’acteur, ne proposant à sa jeune actrice que de jeter des regards avec le sourcil froncé dans une attitude de défi bravache à la vie, au destin, à la nature. On devrait l’aimer cette petite, elle devrait nous émouvoir mais on a surtout envie qu’elle quitte ses poses de tête à claque et qu’elle cesse de pérorer sur les grands sujets de la vie. Pour le reste, la vision de l’acteur par Ben Zeitlin se résume à une forme d’hystérie systématique, de hurlements grossiers, d’improvisations gênantes. C’est peu.

Il ne laisse aucun choix à ses personnages, il les condamne dès le début : le père doit mourir, les pauvres retourner dans leur marais en dépit de l’aide médicale et sanitaire qu’on leur propose. Cette apologie de la misère en devient douteuse quand il dépeint un hôpital de fortune comme un univers concentrationnaire dont il faut s’échapper à tout prix pour retourner dans la fange. On voit bien aussi qu’il aimerait convoquer la magie du monde de l’enfance et le pouvoir de l’imagination pour emporter le film sur le terrain de la fable et du fantastique, mais n’est pas Miyazaki qui veut. On est tellement loin de Le voyage de Chihiro et Mon voisin Totoro auxquels Les bêtes du Sud sauvage voudrait si manifestement s’identifier, que ça en devient pitoyable de prétention auteurisante et d’autosatisfaction.

Note: ☆☆☆☆☆

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