Avant les excellents Woods le 22 Mai prochain, nos amis de Lachatte Alavoisine ont ajouté ce jeudi une jolie petite pépite à leur solide palmarès : le jeune prodige batave, Jacco Gardner, 25 ans tout juste, auteur d’un premier album néo-psyché assez balèze intitulé Cabinet of Curiosities. Enregistrées au studio « Shadow Shoppe » à Zwaag aux Pays-bas, ces douze chansons luxuriantes captées analogiquement voient le jeune mélomane (de formation classique) jouer de tous les instruments (sauf de la batterie) pour produire une pop orchestrale psychédélique parfois à la hauteur de ses illustres références. A l’écoute de cet ovni quasi anachronique, on songe immédiatement à une lignée qui irait de Syd Barret à Tame Impala, des Zombies ou Love à The Coral. Dans ce contexte, ce concert avait largement de quoi intriguer le fan des grands chefs d’oeuvre ambitieux de la fin des années 60 que sont Forever Changes ou les albums du très sous-estimé West Coast Experimental Band. D’un strict point de vue musical, même si les Beach Boys sont parfois cités dans les articles chroniquant le néerlandais rétromaniaque, les réminiscences ne sont pas franchement évidentes. Pour autant, l’enfance comme univers d’innocence englouti, thématique récurrente tant dans les textes que dans les vidéos projetées durant le concert peut constituer un trait d’union avec le célèbre combo californien.

Avant l’entrée sur scène de Jacco et de ses trois musiciens, nous faisons connaissance avec Marie Mathématique, qui joue en première partie son tout premier concert. Le groupe, qui définit sa propre musique comme une “DIY Pop for girls & boys” propose un set court et coloré tout à fait honorable (la plupart des morceaux et le set lui même ayant été composés puis répétés dans l’urgence), laissant entrevoir son potentiel power pop et un goût pour les acrobaties mélodiques.

Il faut attendre 22 heures largement passées pour que Jacco Gardner attaque son live après quelques péripéties de réglages techniques.

Dès le début du concert, on sent que le public se scinde en deux blocs : ceux qui écouteront d’une oreille distraite en papotant (un brouhaha persistant qui n’a d’ailleurs pas réussi à gâcher notre plaisir) et les autres, tassés devant la scène, faisant le pari d’une immersion totale dans l’univers raffiné et envoutant de Jacco Gardner, petit orfèvre campé derrière son clavier (touche “clavecin”). Jacco Gardner est un fan de l’univers féerico surréaliste de Lewis Caroll, passion qu’il partage avec ses compatriotes des Nits, mais pour l’instant sans la distance créative et l’humour visuel. Les images naïves projetées derrière lui nous emportent au coeur d’une nature luxuriante, tantôt verdoyante, souvent pas très engageante, où batifolent des animaux ou des pré-ados qui ont l’air de s’adonner à une célébration crypto païenne. On admire les rayons de soleil qui percent entre les arbres décharnés d’une forêt marécageuse, puis deux gamines apprêtées comme des demi-déesses mimant le baiser de cinema avec un petit air tarte. Plus loin, un vieux film en boucle montre un enfant jouant seul derrière un portail et approché par un homme vaguement inquiétant. Tout cela est bof bof. Ces images viennent surligner lourdement les textes et entraînent le spectateur de force dans un univers kitch que n’inspire pas forcément la musique, plus pastorale qu’écolo new age. Dommage.

On préfère regarder Jacco, à la fois pataud et magnétique, complètement pris dans ce qu’il fait, les cheveux plaqués sur le front, plutôt charmant. Il chante avec précision, d’une voix limpide et assurée. Les musiciens, très concentrés, sont souvent tournés vers lui, à l’affût de ses gestes, calés sur ses pulsations. Ils se partagent les harmonies vocales et reconstituent l’écrin bluffant de l’album. Clear the air jouée en intro, Watching the Moon ou Lullaby confirment leur statut de petits bijoux parfaitement ciselés qui déploient en tonalité mineure une mélancolie contagieuse.

Les quatre jeunes gens donnent de l’élan à ces chansons baroques, parfois un poil décoratives sur l’album. Une magie douce-amère opère. Et lorsque la sublime Chameleon clôt le set avant le rappel, on se dit qu’on est juste en train d’écouter l’une des plus belles chansons du monde. Hors-temps. Frisson.

C’est au final, charmés que l’on ressort de ce concert énigmatique, gracieux et poignant. Pour plus de dissonance psyché-folk, on ira voir les Woods. Mais ça, c’est une autre histoire.

Note: ★★★★☆

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