« Ca va, c’est pas trop long ? ». Damien Saez pose la question au début du dernier rappel d’un concert marathon de près de 3 heures, pendant lequel le chanteur aura joué pas loin d’une trentaine de titres. A une époque de standardisation de la durée des concerts autour des 90 minutes réglementaires – y compris pour des groupes disposant de suffisamment de matériel pour jouer plus longtemps – il faut louer l’effort, un geste généreux de la part d’un artiste qui ne veut pas donner le strict minimum à son public. Il faut dire que les histoires de format, Saez donne l’air de s’en foutre royalement. Après avoir sorti Messina, un triple album cet automne, le voilà déjà de retour avec Miami, un nouvel opus lancé comme le précédent sans aucun relais médiatique, mais soutenu par une campagne de pub qui fait le buzz (interdiction d’affichage dans les métros pour la pochette montrant une Bible sur un postérieur en mini short, poster de tournée représentant un phallus recouvert de billets de 500 euros). Cela ne l’empêche pas pour autant de remplir les salles, y compris les Zénith de province pour sa nouvelle tournée et de figurer en tête d’affiche de bon nombre de festivals cet été.

Ce souci permanent d’échapper aux stéréotypes et aux canons du marketing actuels fascine autant qu’il dérange une bonne partie des médias qui adorent créer les tendances et ne se privent pas de sortir les clichés pour qualifier la musique et le personnage : « Mélenchon du rock », « Poète maudit »… Ceux qui lui reprochent sa vision du monde en mode binaire (« les moutons »/ « les banquiers ») sont aussi ceux qui louent de façon opportune les paroles de groupes de rap parce que c’est beaucoup plus vendeur et artificiellement scandaleux. Ces journaleux n’ont sans doute jamais fait l’expérience de prendre le métro le matin en écoutant La fin des mondes au casque, ils se rendraient compte de la pertinence du discours. On ne risque pas de voir Damien Saez dans les pages people des magazines mais quand on lit le grotesque du « clash » entre Booba et La Fouine, on se dit « Tant mieux ». Saez divise et pour un artiste qui n’aime pas la tiédeur, ce n’est pas plus mal !

Le Zénith de Toulouse, à défaut d’être complet, est tout de même copieusement garni ce soir et l’on serait bien gêné de dresser une typologie du public présent dans la salle, hétéroclite et ne donnant l’impression d’appartenir à aucune tribu. Saez se soucie peu de son image, il monte sur scène mal rasé et le cheveu gras, un peu ventripotent et le col roulé dissimulant une minerve consécutive à des problèmes de cervicales. Le groupe qui l’entoure soutient solidement les improvisations du chanteur, qui adapte la set list en fonction de l’humeur et de l’inspiration du moment. Si le milieu du concert est le plus rock, avec un enchaînement assez redoutable La fin des mondes/ Miami (et ses faux airs d’Un Homme pressé de Noir Désir)/ Le roi/ Rochechouart/ Pilule/ Cigarette/ J’accuse, notre préférence va à la deuxième moitié du set. Après un court entracte, Saez revient pour une session acoustique pendant laquelle il joue des versions magnifiques de Jeunesse lève-toi, Into the Wild, Les fils d’Artaud ou Ma petite couturière. Il a l’air plus détendu et spontané durant cette séquence intimiste, accompagné seulement d’un accordéon. La voix convoque le souvenir de Brel et c’est dans ces moments-là que l’immense talent du Monsieur trouve son évidence, dans cette capacité à concilier la révolte du rock et la beauté de la chanson française dans un même élan. En résumé, en faisant exploser toute idée de chapelle.

Crédit photos : Frédéric RACKAY (tous droits réservés)

Note: ★★★★☆

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