Quasi simultanément à la sortie française du dernier film de Jim Jarmusch, Malavida propose une reprise en salles de trois films de Bo Widerberg, Le Péché Suédois (1963), Elvira Madigan (1967) et Adalen 31 (1969). Les films sont également disponibles en dvd et il est plus que recommandable de les visionner. Mais si Only Lovers left alive occupe largement les écrans, les trois œuvres du Suédois ne sont visibles que dans une poignée de cinémas indépendants. Il s’agira ici d’évoquer Elvira Madigan en le rapprochant du film de vampires du réalisateur de Ghost Dog.

Chromatiquement, deux opposés. Le film de Jarmusch se passe exclusivement la nuit et en intérieurs, dans des teintes noires, rouges, marrons foncées. Celui de Widerberg se déroule presque uniquement de jour et dans la nature. Les deux mettent en scène un couple, fatigué de devoir participer au monde extérieur, voulant s’en couper. Chacun compose son propre extérieur, chez Jarmusch ce sont les « zombies » – soit les humains mortels – appelés ainsi par Tom Hiddleston blasé de tout, qui les voit en petit dans la rue quand il tire légèrement le rideau de sa chambre. L’extérieur pour le couple d’Elvira Madigan, c’est une certaine réalité sociale, la guerre, la famille du personnage masculin, la jalousie…

En constatant ces nombreuses divergences, c’est en fait une multitude de points communs qui s’établissent entre les deux films, il y a le même désir d’exister dans une dimension mythique, dans un temps infini, car même si les vampires de Jarmusch se plaignent, ils prennent la pose, et s’aiment, malgré tout. Tilda Swinton et Tom Hiddleston se réconfortent dans les livres et la musique, Elvira et Sixten se roulent dans l’herbe et mangent des fraises.

Il est intéressant de se dire qu’Only Lovers Left Alive peut être une sorte de suite esthétique à Elvira Madigan. Au départ, il y a la vie, la lumière du soleil que l’on goute facilement, on échappe au regard, notre histoire est à la limite d’en être une, c’est simplement un bout de vie qui se déroule. Elvira est funambule, elle marche sur un fil, vision poétique mais qui rappelle aussi que le réel n’est pas mort, et que ce fil peut se briser, qu’elle peut chuter, ou se pendre avec. La caméra multiplie les axes et les points de vues, mais rien à faire, le couple ne s’en soucie pas, alors l’image devient floue, éloignant subitement le spectateur.

Scène importante également, où le personnage masculin, Sixten, retourne en courant dans les plans où l’on a vu le couple s’embrasser précédemment, le montage est le même, mais Elvira n’est plus dans le cadre, le film vu comme un paradis habitable mais immédiatement perdu, le montage comme un désir de faire temps, de faire cycle éternel, ce que réalisera Only Lovers Left Alive.

elvira madigan

Le soleil d’Elvira Madigan va finir par se coucher, et alors se réveillent les vampires de Jarmusch.

Ici, on ne meurt pas, il n’y pas d’urgence, on peut prendre le temps de se positionner correctement dans le plan, on sait que l’on est regardé alors on en profite pour bien s’habiller et mettre ses lunettes de soleil, même à l’intérieur. Si l’on peut percevoir une certaine ironie dans ce qui précède, il faut dire que d’une part, elle existe très élégamment dans le film, et d’autre part, qu’elle ne doit pas être prise comme une accusation, mais plutôt comme une petite revanche sur la jalousie que l’on peut éprouver à l’égard des personnages. Ceux d’Elvira Madigan couraient à leur perte, on ne se roule pas dans un champ comme ça sans qu’il y ait un drame à la fin… Les personnages de Jarmusch eux ne vont pas mourir, alors à quoi bon profiter ? Ils vivent depuis des siècles et s’en sont lassé, ils s’aiment, c’est déjà beaucoup, c’est ce qui reste d’Elvira Madigan dans Only lovers Left Alive, l’amour et le désir de s’extraire du monde pour ne plus s’incarner que dans le mythe abstrait.

L’image du mythe chez Bo Widerberg étant l’arrêt sur image d’une jeune fille blonde dans un champ, et pour Jarmusch le spectacle d’un baiser sous une lune en néon vert, sublime.

Only Lovers Left Alive avance sans intrigue, ses personnages flegmatiques profitent tout de même de ce qu’ils ont, les instruments de musique, le sang parfois… La dimension héroïnomane du vampire n’est pas oubliée, c’est la nuit que l’on se faufile masqué dans l’hôpital pour se procurer le précieux liquide.

Les Vampires ont abandonné la nature, ils connaissent les noms latins de toutes les plantes mais ce n’est qu’un détail de plus, une manière d’intégrer jusqu’aux feuilles des arbres dans le rempart de culture derrière lequel ils existent face au monde.

Adam et Eve sont nostalgiques du XVIIe siècle, ils vivent à Detroit et Tanger, soit une ville qui se vide progressivement et un paradis perdu de la beat generation. Être envers et contre tout dans le passé, dans la légende vécue au présent, cumulant les signes d’époques éloignées, c’est être contemporain bien sûr, c’est être postmoderne mais avec classe, poésie, sans ricanement.

Elvira Madigan intègre le désenchantement, tout en ne montrant qu’un désir de pureté, de plénitude naïve. Que le monde s’accorde ou qu’il nous laisse tranquille. Dans Only Lovers Left Alive, le désenchantement a de la gueule, ce qui ne l’empêche pas d’être mélancolique, et de s’y complaire magnifiquement. Finissons avec Cioran, encore : « On ne découvre une saveur aux jours que lorsqu’on se dérobe à l’obligation d’avoir un destin ».

Only lovers left alive  Note: ★★★★★

Elvira Madigan Note: ★★★★★

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