Blanc lait, blanc cassé, blanc lunaire. La prééminence de cette neige sauvage nous submerge avec véhémence. L’hiver glacé, tel l’obsession qui lacère notre conscience, qui fait de nos pensées des anthracites ardents qui consument avec indolence notre belle mentalité. Hiver glacé tel un tourment, une plaie qui atrophie les sentiments. Froid âpre qui pénètre l’âme, éteint un brasier, mais se consume différemment. Le cœur est si brûlant que près de lui l’enfer est froid. Hiver glacé qui berce l’agonie. Le vent est un invisible témoin tandis que la fougue éprend l’esprit. L’amour qui n’était qu’une frénésie délicate s’élève en rage iconoclaste. C’est un cri que la neige transcende. Blanc crème, blanc ivoire, blanc saturne. Assouvir sa hantise pour pouvoir avancer, ou simplement pour réussir à respirer.

Un choc. Sa vie déraille, s’entremêle dans ses pieds, lui écorche les chevilles. Un sentiment l’étrangle, l’assèche, l’abolit. Son regard devient de plus en plus noir et ses traits se veulent angoissants. Vincent Macaigne revêt un costume qu’on ne lui connaissait pas. Habitué aux rôles comiques, jovials et décalés, il transmet dans Tonnerre de nouvelles émotions, plus sombres, plus tragiques, plus obscures, plus romanesques. Il est de ces acteurs qui n’ont pas besoin de nous convaincre, son visage se déforme, et il devient instantanément effrayant. Il incarne ici Maxime, rockeur paumé qui retourne vivre chez son père dans l’Yonne, à Tonnerre. Il croise la route de Mélodie (Solène Rigot), jeune stagiaire dans un périodique local et s’éprend fougueusement d’elle. Séduction, complicité et béatitude semblent alors émerger et tandis que leur passion atteint peut-être son ultime apogée, le bonheur s’évapore. Mélodie disparaît, refusant d’expliquer son absence, cette rupture prématurée et l’incompréhension règne. Incompréhension laissant place à l’obsession, à la folie, à la violence, à la détresse.

Si le premier long-métrage de Guillaume Brac débute comme un film naturaliste faisant écho à Rohmer ou Rozier, le virage qu’il empruntera le mènera vers un horizon hardi. Si une déception acide se lit déjà sur les spectateurs désireux de voir Un monde sans femmes II, la subtilité singulière de Tonnerre éblouira ceux qui se laisseront foudroyer. Ce long métrage commence comme un film réaliste, se poursuit dans une veine de romantisme noir aux allures de thriller à la James Gray et s’achève sans jugements, ni procès. Les genres s’entremêlent, se fusionnent jusqu’à en devenir indissociables. Et cela dérange, irrite, agace parfois. Mais pourquoi un cinéaste devrait-il forcément appartenir à un genre ? Es-ce normal de le blâmer lorsqu’il s’éloigne de l’étiquette qu’on lui a autrefois attribuée ? Il faudrait désacraliser le réalisateur et le ramener à sa nature première, celle d’être un homme. Ses aspirations peuvent évoluer, ses centres d’intérêts aussi. Nous ne naissons pas avec une seule et unique passion ; nous pouvons être animés par plusieurs exaltations. Guillaume Brac a ce rare mérite de ne pas tricher, d’être entier. Ecartelé entre deux désirs de cinéma, il les assemble avec harmonie et lyrisme. Et c’est précisément de cette fusion que naît la poésie. Une poésie du réel, une poésie de la vie.

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Le cinéaste use d’une incroyable pudeur envers ses personnages et leur laisse un grand espace de liberté pour s’exprimer. La caméra est à distance, presque inexistante, et seule l’effervescence intérieur des acteurs domine. La caméra n’est jamais intrusive ou violente, elle glisse tel l’air invisible et capture des fragments du réel. Ce n’est pas sa retranscription, mais la vie elle-même qui survit. Et c’est en ce sens, que le cinéma de Guillaume Brac a quelque chose de vivant. La pellicule suinte, transpire. L’image serait une veine qui se gonfle et se contracte. L’écran serait une chair, qui frémit et s’altère.

Un virement de tonalité s’opère quand Mélodie envoie un message à Maxime en lui disant qu’elle s’est remise avec son ex, Yvan. Quelques mots sur un téléphone portable peuvent tout faire basculer. Douter de tout. Douter de l’amour. Douter du passé. Du présent, du futur. Mais les mots mentent parfois. Quelques lettres ne peuvent pas être emplies en permanence de véracité; sinon, comment expliquer que l’honnêteté ne soit pas une vertu courante ? Les phrases prennent, certes, le sens qu’on veut bien leurs donner. Avec leurs défauts, leurs qualités et parfois, leur cruauté. Au fond, on ne se comprend jamais, il y a toujours un décalage entre nos aspirations et ce que les autres répondent. Les mots s’avèrent inutiles dans leur utilité, terribles, dans leur immensité. Lorsque Mélodie quitte Maxime, celui-ci se retrouve la chair à vif. Cette mise à nu, nous la retrouvons dans les couleurs de son manteau, orange chaleureux qui prend soudainement un sens épidermique violent, effritant sa peau, l’éviscérant brutalement. On plonge dans un registre beaucoup plus sombre dans cette seconde partie du long-métrage. Un pistolet est dévoilé, la haine est palpable. L’obsession se tord, s’élargit et s’empare peu à peu de l’image, prenant sa forme. Les décors enneigés, faisant penser aux paysages hivernaux du peintre Bastien Lepage, deviennent alors étouffants et destructeurs. Nous sommes immergés malgré nous à l’intérieur de cette fureur. Maxime décide d’enlever Mélodie et de menacer Yvan de son arme. Le risque est grand, on peut sombrer dans le ridicule, mais pourtant, l’interprétation des acteurs et la mise en scène épurée et humble, permettent au film d’être crédible et bouleversant.

Mais Tonnerre n’est pas seulement une histoire d’amour obsessionnelle. C’est beaucoup plus que cela. C’est une générosité des acteurs, un lyrisme éclatant et une chaleur rassurante. Guillaume Brac serait le contraire d’un fataliste et il y a dans son cinéma un véritable attrait à l’enchantement, à l’utopie, à l’espoir. Un espoir incarné par les deux générations qui évoluent à l’écran (Bernard Menez est épatant !), nous permettant de relativiser ce qui arrive aux plus jeunes et surtout de réaliser que quels que soient les drames qui nous accablent, une lumière sera toujours présente au bout du tunnel.

Note: ★★★★☆

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