Il y a deux types de claque musicale. La première est celle qu’on attend impatiemment depuis des mois, dont on sait qu’elle va arriver même si au fond de soi sommeil une peur immense de déception. Dernièrement, des albums comme To Pimp A Butterfly de Kendrick Lamar ou You’re Dead! de Flying Lotus ont cristallisé cette émotion. Mais il y a aussi, peut être les plus savoureuses, celles qui ne se font pas attendre, qui surgissent de nulle part et vous retourne l’âme en vous marquant profondément. Cela peut arriver en tombant un peu par hasard sur une vidéo sur Youtube d’un live-show d’un petit groupe qui monte, par exemple. Dès la première vision de la performance de Future Islands au Late Show With David Letterman jouant leur magnifique tube de Synth Pop nostalgique Seasons (Waiting On You), impossible de ne pas tomber sous le charme rétro et plein de sincérité des Américains. Et puis, il y a cet incroyable charisme provenant du chanteur, Samuel T. Herring, au physique particulier (entre le Trent Reznor bodybuildé des années 2000 et un Jack Black plus fin) et aux capacités vocales hors normes, passant d’un chant clair et chaleureux, très typé New Wave – on pense à Tears For Fears notamment -, à une voix rauque et monstrueuse, proche des grognements du Metal ou des vocaux détruits au bourbon de Tom Waits. En ce jour de l’année 2014, une icône est née, ses pas de danse complètement fous ont fait le tour d’Internet, devenant carrément un « même » sur la toile, propulsant enfin Future Islands, groupe formé en 2006 quand même, sur le devant de la scène avec son beau quatrième album Singles, signé chez le label mythique de l’Indie, 4AD.

Finalement, aller les voir jouer dans cette superbe salle qu’est La Cigale, dont la petite taille favorise une proximité forte et un partage d’émotions, fut le moyen de vérifier l’intensité aperçue lors des nombreuses vidéos de live sur Internet qui ont permis le buzz grandissant autour de Future Islands. Si la première partie, Chiffon, qui comme son nom ne l’indique pas est un duo américain de Baltimore, avait posé un certain cadre de bizarrerie avec sa Synth Pop/R’n’B moderne tranchant nettement avec le physique des deux musiciens, il manquait cependant l’euphorie d’un public un peu endormi. Mais lorsque le quatuor (en fait trio, le batteur étant présent pour la tournée) entre en scène, l’audience jubile, toute acquise à la cause de ces nouvelles stars de la Pop. Tout au long de la représentation, le public ne cessera de surprendre par son envie, sa joie et sa dévotion à Future Islands, chantant haut et fort chacune des paroles des morceaux joués comme si le groupe était des rockstars mondiales écumant les salles depuis deux décennies. Pour faire un excellent concert, il faut un excellent public et cette nuit à La Cigale, il n’exprimera certainement pas le contraire. Toujours prêt à se déhancher dans la fosse, sauter ou parfois même improviser un pogo gentillet qui ne sera certes pas du goût de tout le monde, mais prouvera la puissance potentielle que renferme certains titres du groupe, le millier de personnes présentes a certainement galvanisé les membres de Future Islands qui ont répondu par un déploiement d’énergie fulgurant et de nombreux échanges avec les fans ainsi que de nombreux rappels.

La setlist proposée a été savamment organisée par le trio, offrant un voyage dans sa discographie, redonnant aux anciennes chansons une vigueur insoupçonnée à l’écoute des albums. Future Islands est définitivement un groupe que le live transforme. Si Singles est loin d’être un chef d’œuvre, l’opus, qui a été joué quasiment entièrement, est littéralement transcendé sur scène. La musique du groupe prend une toute autre ampleur : épique, émouvante, passionnante, déchirante, fédératrice. Chaque morceau devient un tube que tout le monde reprend en chœur. Des titres comme Back In The Tall Grass, Spirit ou A Dream Of You And Me, faisant partie du gratin de leur dernière sortie, deviennent des armes de danse massive. Et Samuel T. Herring n’y est pas pour rien. Il faut dire qu’il est l’atout numéro un de la bande. Si les autres musiciens offrent de belles partitions qu’ils jouent parfaitement, de manière carrée et sans fausse note, le chanteur véhicule toute l’émotion au public. Il est le détenteur de l’âme de Future Islands. Véritable performer, Il court, saute, grogne, joue avec son corps comme un comédien, se permet même de séduire les spectateur en dansant sensuellement, voire de se prêter à une séance de Twerk improvisée. Parfois, on aurait même pu se croire à un concert de Death Metal, lorsque son chant s’est mué en cris perçants. On a rarement vu ces dernières années un homme aussi habité par sa musique et qui fait tout pour la transmettre à ses fans. A un moment de la soirée, on le surprend même à fondre en larmes lorsqu’il entonne les premières notes d’une chanson écrite après une rupture avec un ancien amour. Et le public pleure avec lui, forcément. Samuel T. Herring est une rockstar, une vraie, pas ce simulacre que sont devenus les Bono, Anthony Kiedis ou Axel Rose.

Le concert à La Cigale fut aussi l’occasion de découvrir quelques morceaux du prochain album sûrement dû à l’élan de générosité de Samuel T. Herring. Deux exactement, dévoilant une facette plus calme et sensible de Future Islands, comme A Song For Our Grandfathers présente sur Singles. Mais le point d’orgue fut évidemment Seasons (Waiting On You), un des plus grands titres tout genre confondu sorti l’année dernière. Véritable communion entre le public et le groupe, c’est à ce moment-là qu’est apparu toute la grandeur de Future Islands. Dans Future Islands il y a « Future » et après une telle performance, on l’imagine évidemment radieux pour ces Américains en pleine renaissance. L’avenir leur appartient.

Note: ★★★★½

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