« Les collaborations ne marchent pas, je vais devoir tout faire moi même » chante Alex Kapranos , leader fringant des écossais Franz Ferdinand, le groupe phare de la pop indé 2000, mi désabusé, mi ironique sur l’un des titres forts de l’album de FFS.

Ce titre,  Collaborations don’t work , le premier travaillé par l’association de Franz Ferdinand avec les Sparks voit la super formation dérouler une fresque de presque 7 minutes toute en ruptures et virages serrés : cela démarre par une innocente comptine folk avant de plonger abruptement l’auditeur au cœur d’un tourbillon sonore alternant comédie musicale retro futuriste, envolée pop psychédélique, reprise de la première sur un tapis d’effets électroniques puis conclusion minimale au piano dont seul Ron Maël, le clavier et compositeur des Sparks a le secret.

Ce tour de force qui côtoie sans fléchir le sublime, pourrait justifier à lui seul l’existence de FFS, (Franz Ferdinand & Sparks ou For Fuck’s Sake, c’est selon) par la singularité et l’inspiration qui se dégagent de cette pièce acrobatique qui déjoue toute les classifications.

« Si j’avais besoin d’un père, de toute façon ça ne serait pas toi vieil homme » marmonne pour finir Kapranos en direction de Russel Maël, son alter ego chanteur, en empruntant sans détour à l’humour qui a fait la renommée des frères Maël depuis plus de 40 ans.

Ce projet enfin abouti, produit par John Congleton, était dans les cartons depuis une dizaine d’années : la fusion de Franz Ferdinand et des mythiques américains Sparks, sur disque, sur scène et dans une série toute fraiche de vidéo-clips pas piqués des hannetons. Cette « collaboration », si elle a pu surprendre, s’inscrit dans une démarche ou le cœur et l’admiration réciproque tiennent le rôle principal, bien au delà du buzz programmé ou de l’opération marketing.

Comme Morrissey, Martin Gore, Thurston Moore ou Rita Mitsouko avant lui, Alex Kapranos revendique depuis ses débuts un attachement pour les Sparks, leur pop burlesque et azimutée, leur écriture drôle et féroce qui s’est toujours attachée à cerner sous un angle inattendu les travers de notre époque et les dégâts des pulsions conformistes. De leur côté, les deux frères ont déclaré à plusieurs occasions avoir été scotchés par la chanson Take Me Out à sa sortie.

Quelques petits rappels en vrac  pour ceux qui continuent de trouver cette alliance incongrue.

Franz Ferdinand a sorti un des plus fun premier album des années 2000 et les Sparks sont de vrais gentlemen qui ont multiplié les frasques les plus invraisemblables depuis leurs débuts et cultivent une élégance et un humour ravageurs. Les seconds surfent depuis toujours sur les clichés en vogue pour mieux les tordre ou les sublimer. La finesse de leur art les situe à des années lumières de la vulgarité grandiloquente de Queen auxquels on les associe encore trop souvent à cause de leur premier hit, l’intouchable et opératique This town ain’t big enough for the both of us.

Les Sparks ont décollé en 74 à Londres avec l’album Kimono My House, aîné d’une trilogie déjà décalée dans sa propre époque, caverne d’Ali Baba pour l’éternité. Propaganda, le second et plus abouti des trois contient l’excellent Achoo, titre culte que Franz Ferdinand a tenté de reproduire le jour de sa première répétition.

Les Sparks ont ensuite, après un petit passage à vide enregistré deux albums de référence en électro pop sous la houlette de Giorgio Moroder (79) puis une série de disques pétillants en duo synthétique qui ont rencontré un certain succès, à domicile cette fois. Après un hit avec les Rita Mitsouko en 89 puis un ultime tube euro dance, en Allemagne (94), le 21ème siècle les a vu renaître avec brio sur quelques albums virtuoses, osant tout ou presque et les reléguant définitivement dans les couches les plus barrées de la stratosphère.

Lettrés et francophiles dans l’âme, une de leur toute première chanson s’appelle Le Louvre. L’une des dernières s’intitule As I sit down to play the organ at the Notre dame Cathedral.

Les Sparks sont aussi intimement connectés avec le cinéma d’auteur: Jacques Tati les voulait dans le dernier film qu’il n’a pas eu le temps de tourner, David Lynch a réalisé en 82 pour eux le clip de I predict et ils ont consacré la totalité d’un double album concept à Ingmar Bergman en 2009.

Ils sont le seul groupe de l’histoire à avoir osé joué l’intégralité de leurs 21 albums en 2008, à Londres dans l’ordre chronologique.

Après de trop longues années à sortir des disques et donner des concerts confidentiels pour un public restreint de fanatiques, les Sparks voient aujourd’hui grâce à FFS, une occasion inespérée de revenir au premier plan et rien que pour cela, c’est jour de fête ! Le pari est peut-être un peu plus risqué pour Franz Ferdinand qui affirme pour l’occasion une constance rare dans ses choix et son attrait pour les joies anticonformistes.

Belle et inespérée manière pour les Sparks de rappeler leur existence au monde, dans la jubilation d’une création nouvelle, plus attrayante que ces films douteux, rééditions ou expositions sur d’autres légendes du rock, célébrées jusqu’à la nausée. Ainsi, outre leur charme raffiné, leur dandysme pince sans rire, les deux formations partagent des connections musicales assez évidentes : leur art rock dansant, quoique dissemblable à première vue pouvait naturellement trouver des points d’accroche ou de friction.

L’album choisit de jouer sur la variété en proposant toute les combinaisons possibles. Tantôt Franz Ferdinand jouent comme s’ils étaient les Sparks , tantôt ils imposent leur style racé, notamment sur Call girl ou encore la douce ballade mélancolique Little guy from the Suburbs … qui parvient tout de même à caser « Jean Paul Sartre » dans le texte et « Vive le Québec libre » !

A d’autres moments, on ne comprend plus trop qui des deux groupes a ramené quoi sur l’établi, et c’est un signe que l’entité fonctionne comme autre chose qu’une simple addition des forces en présence. Notamment sur la relecture intrépide du morceau des FF Brief Encounters, rebaptisée ici Police Encounters ou 4 voix se poursuivent sur un refrain power pop de haute volée.

Parfois les Sparks acceptent de se laisser recadrer dans les formats efficaces de leurs benjamins et parviennent à réprimer leurs tendances hyperactive et proliférante. Mais lorsque les plus têtus tentent une prise de pouvoir, elle est acceptée dans la bonne humeur générale: la superbe Save Me From Myself, qui aurait pu figurer sans problème sur un disque récent des Sparks.

De fait, si Russel utilise souvent son célèbre falsetto et Alex son timbre de crooner baryton, les rôles sont volontiers inversés. On chante parfois à tour de rôle, en contrepoint harmonique ou ensemble dans la même tonalité : apparaît alors une troisième voix, hybride, celle de FFS.

La chanson qui ouvre l’album, le sensationnel Johnny Delusional (l’histoire d’un type qui galère vraiment avec les filles) mériterait une thèse musicologique à elle seule. Dans un monde juste, ce titre, clippé par les français de AB/CD/CD serait un méga hit avec ses couplets en cascades et son refrain crève cœur.

Dictator’ s son et The Man without a Tan balayent tout sur leur passage sans manquer d’offrir leur lot de trouvailles et subtilités en tout genre. L’excellent Piss off, premier extrait balancé au mois d’avril sur le net, est un petit bijou de cabaret déviant tandis que le très 80’s So Desu Ne renoue avec la disco pop japonisante par son rythme enjoué et ses claviers maniaques.

Pour contraster un peu, la douce amère Things I won’t get voit Nick Mc Carthy s’emparer du micro et atteindre un autre moment de grâce sur un texte une fois de plus en décalage complet avec l’humeur de la mélodie. La version deluxe propose quatre morceaux supplémentaires dont un So Many Bridges à tomber. « So many Bridges in the world to jump off of… ». Joli programme…

De bout en bout, FFS déploie ses effluves euphorisants à un train d’enfer, magnifique collision inter générationnelle qui se déguste comme un cocktail pimenté, fait de synthés vintage, de refrains accrocheurs et de lignes percutantes.

Ces histoires d’inadaptés chroniques, qu’ils soient fils de dictateurs convertis au neo capitalisme ou amoureux privés par la vie de la moindre énergie séductrice, s’en trouvent sublimées.

FFS vient de sortir le disque pop accrocheur, étourdissant, souvent génial qui manquait encore à l’année 2015. Le groupe est à l’affiche de plusieurs festivals cet été et se produit bientôt dans un Bataclan d’ores et déjà complet. Ils vont jouer bien-sûr jouer l’album FFS et des morceaux choisis dans les 2 discographies en guise de cerise sur le gâteau.….Vous avez dit immanquable? Au fait, en vinyle, la pochette noir et blanc futuriste est encore plus belle.

Note: ★★★★½

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