Versatile Mag : Votre film Summer se déroule en Lituanie, pourquoi avoir choisi ce pays pour faire évoluer vos personnages et votre récit ?

Alanté Kavaïté : La raison est simple, c’est l’endroit où j’ai passé mon adolescence. Et comme je voulais faire un film axé sur les sensations et sur l’émotion, c’était important pour moi de le tourner là-bas. J’ai pu ainsi y introduire beaucoup d’éléments lituaniens. Par exemple, même si en France il y a des pilotes de voltige très performants, les Lituaniens ont un rapport presque névrosé au ciel. C’est peut-être pour des raisons géographiques, c’est un pays très plat, dénué de montagnes donc tout le monde à cette envie de s’élever. Beaucoup de gens font du planeur, de la montgolfière et de toutes sortes d’objets volants, c’est un vrai virus dans ce pays ! Les fêtes aériennes rythment les périodes estivales et il y a aussi un rapport à la nature très important. J’avais beau réfléchir à un équivalent en France, je ne l’ai pas trouvé, alors j’ai décidé de le faire dans ce pays, avec son ciel, ses paysages et ses couchers de soleil qui durent plus longtemps… C’est une histoire lituanienne même si c’est une histoire universelle.

L’intrigue est osée, centrée sur une relation homosexuelle ce qui est une première en Lituanie. Comment s’est passée la recherche de producteurs, de financements et ensuite le tournage sur place ? Vous avez rencontré des problèmes ?

Le tournage a été financé par le centre du cinéma lituanien, c’est le CNC local dirons-nous. C’est une commission composée de professionnels de diverses générations qui vote et je sais que le projet de Summer a été élu à l’unanimité ! Ensuite, pendant le tournage, nous n’avons pas vraiment eu de bâtons dans les roues. La seule chose qui m’a un peu inquiétée, c’était pendant la fameuse Gay Pride à Vilnius – c’est déjà formidable qu’elle existe ! -, près de la cathédrale de la rue principale, une minorité de personne ont pointé des croix sur nous pendant la procession comme si ont été des vampires. Puis plus loin des skinheads ont lancé des tomates sur le défilé. L’extrême droite lituanienne est autour de 3 %, mais les choses avancent et relativement vite. On est loin du mariage pour tous mais il a déjà été débattu.

Il y a un décalage entre les plans fixes au sol et le mouvement vertigineux des séquences de voltige, est-ce voulu ? Avez-vous posé une intention dans votre mise en scène ?

Dès l’écriture, j’ai réalisé que j’avais un personnage vraiment bloqué au sol. L’héroïne veut voler, mais elle se sent incapable de le faire, donc j’ai voulu la figer davantage dans un cadre fixe et d’ailleurs, tous les plans au sol sont fixes, sans exception. C’était vraiment une rigueur voulue et à laquelle je me suis tenue jusqu’au bout. Il y avait des moments compliqués c’est vrai, mais même aujourd’hui, avec du recul je suis contente de ce choix, car il en découle un contraste beaucoup plus fort avec les images aériennes. En fait, il y a trois types d’images, au sol tout est fixe, en haut, à une centaine de mètres de hauteur il y a les avions qui voltigent, là on est dans l’expérimentation la plus totale puisqu’on a utilisé en tout douze caméras différentes. Dans ce genre d’avion, il y a très peu de place, il y a des vibrations, il faut stabiliser la caméra, on a tout essayé. Et entre les deux, exactement à une cinquantaine de mètres du sol, je voulais justement un entre-deux que j’utilise dès que le personnage principal éprouve un soulagement ou un apaisement… Ainsi, je voulais qu’elle ait déjà un pied en haut, vers ses avions, comme une marche vers là où elle veut aller. Pour faire cela, on a utilisé un drone avec huit pattes avec une petite caméra HD fixée dessus. Après, je ne savais pas comment on allait réussir à filmer à l’intérieur des avions, c’était le pari le plus fou !

Justement, parlons de la très belle séquence de voltige où Sangailé s’envole pour la première fois, comment avez-vous procédé ? C’est vraiment elle qui vole ?

Oui, c’est vraiment elle ! En préparation, la question m’a été posée plusieurs fois : pourquoi tu t’obstines à vouloir mettre ton actrice dans l’avion ? Pourquoi ne pas le faire en post-production, avec des incrustations ? Car oui, c’est vrai que physiquement, c’est très éprouvant. Mais encore une fois, je pense que c’était bien de le faire, car je sais que ça se voit, on découvre comment les muscles de son visage encaissent les forts jets d’air. De plus, je tenais à filmer sa toute première fois, elle n’était jamais montée dans un avion de voltige de ce type et je ne voulais pas faire de test. Le grand risque qu’on a pris, c’est que je n’avais pas de plan B, je n’avais pas de deuxième actrice au cas ou elle ne supporterait pas cette charge-là. Et quand on a lancé cet avion avec elle, j’ai croisé les doigts pour que ça marche ! Elle était tellement bien et tellement à l’aise, que aéro-club lui a même proposé de passer son brevet gratuitement, tant ils ont été admiratif de sa force. Elle tenait elle-même la caméra par moments ! L’expression et l’évolution de Sangailé passe par le mouvement, elle grandit et mûrit à travers des épreuves physiques, elle grimpe, elle fait du vélo… À la fin du tournage l’actrice était devenue très sportive !

Au vertige des images se mêle le vertige des émotions… Les deux héroïnes veulent découvrir, s’exprimer. Elles sont adolescentes, c’est l’âge des premières fois, des premières découvertes… Et on le ressent en permanence. Comment avez-vous fait pour rendre votre film aussi sensoriel ?

Le scénario était écrit comme ça. Je trouve qu’on dramatise souvent l’adolescence et les souffrances liées à cette période. On dramatise dans la littérature et au cinéma. Mais avec du recul, on réalise que ce ne sont que des étapes pour grandir, je ne voulais donc pas dramatiser à outrances, mais au contraire faire un film lumineux, simple, pop ! Un film sur les sensations et sur les émotions et non pas sur des rebondissements narratifs. Juste vivre cet été dans la chair. Avec la chair de poule, le toucher, la chaleur sur la peau, un peu de douleur, beaucoup de plaisir, le vertige, le goût, l’odeur. L’adolescence est un âge où tous les sens sont tellement exaltés… Ce sont ces premières fois qui sont les plus fortes. Il y a aussi un coté onirique avec beaucoup de symboles : un sein, un coquillage, la cicatrice sur le ventre, tous ses déguisements, la féerie. J’ai voulu travailler sur cette sensation de peau, de couture, de cicatrice, d’entaille, de blessures. Travailler aussi les tensions, les sensations contraires pour les mettre côte-à-côte. Je voulais faire un film avec un scénario court et simple afin de me concentrer davantage sur la matière et le rêve. Car lorsqu’on est adolescent, on se raconte encore nos rêves, on croit encore aux signes. On n’arrive pas à mettre les mots justes sur ce que l’on ressent et le côté métaphorique en est d’autant plus fort.

C’est incroyable à quel point les deux actrices sont complémentaires, comment avez-vous organisé les castings afin d’obtenir une telle alchimie ?

J’avais vu Julija dans un court métrage et je l’ai trouvé intéressante. Je l’ai rencontré et j’ai fait une séance photo avec elle alors que je n’avais pas encore de financement. Je l’ai revue un an après et lui ai proposé de donner la réplique au casting pour trouver l’autre jeune fille. On a convié tout le conservatoire de Vilnius, toutes les étudiantes en cinéma ou en théâtre et c’était très étrange, car quand je voyais les rushes, je ne regardais qu’elle ! C’est vrai qu’elle possède un magnétisme incroyable, je n’arrivais pas à détourner les yeux d’elle. Puis nous avons trouvé Aisté, l’alchimie ne s’explique pas, il apparaît quand elles se retrouvent face-à-face. Elles sont suffisamment symétriques, leurs corps suffisamment proches et ça me plaisait bien, cette ressemblance inversée. Seul hic, sur le casting, j’ai appris qu’elles se connaissaient quand elles avaient 13 ans avant de se perdre de vue pour finalement se retrouver au casting. J’ai cru que ça allait être un énorme problème, car je préfère qu’il n’y ait pas de vécu entre les acteurs, qu’ils soient une page blanche. Mais finalement, ça c’est très bien passé, elles ont su doser.

Pourquoi avoir choisi deux femmes et non pas deux hommes, par exemple ?

J’aurais pu prendre deux hommes c’est indiscutable. j’ai pris deux femmes peut-être, car j’en suis une et que la première séquence à laquelle j’ai pensé – qui est la fondation du film -, c’est Sangailé qui se déshabille pour que Austé puisse prendre ses mesures et qu’elle découvre ses cicatrices. Cette scène comporte toute la palette du film : la gêne d’être nue, le désir naissant, le regard de l’autre, le toucher, les mains qui se posent, le téton dur…

Mais ça n’aurait pas pu être un homme et une femme, car on attribue encore des qualités et faiblesses selon le genre et ça aurait été le garçon fort qui aide la fille faible à affronter ses faiblesses. Or, ce qui m’intéresse c’est la symétrique, évacuer cette question autour du genre pour se concentrer sur l’histoire d’une fille qui est en train de grandir et qui rencontre une personne à l’opposé d’elle. C’est ce contraste justement qui donne le vertige. C’était mon aspiration et ma source de jouissance, travailler le reflet inversé.

Comment s’est déroulée votre collaboration avec Jean-Benoît Dunckel pour la musique du film ?

Dunckel a vu le film au tout début du montage, on a travaillé ensemble deux ou trois mois dessus et je suis très contente, parce qu’il parvient à réunir beaucoup de choses contraires que je recherchais. Ce qui est fabuleux avec lui, c’est qu’il a la capacité de créer des ambiances sensorielles et abstraites, mais en même temps, il peut composer des morceaux Pop, comme des tubes ! Il introduit aussi du violon pour faire écho à la musique classique et à la mère de Sangailé. C’était la personne idéale, car aux facettes multiples !

Summer – Actuellement en salles

Note: ★★★★☆

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