Bradford Cox l’avait annoncé en août, lorsque le premier single de ce tant attendu septième opus de Deerhunter a été dévoilé. Le chanteur du groupe Indie Rock le plus talentueux depuis que The Strokes a croulé sous la mégalomanie de son frontman Julian Casablancas, y parlait de sa peau de serpent, sa Snakeskin (titre du morceau), sa nature marginale, sa capacité à rebondir peu importe les chutes – notamment après avoir été renversé par une voiture. Or, après un Monomania décevant en forme de ratage post-chef d’œuvre – Halcyon Digest, Mona Lisa du rock indépendant du XXIème siècle – il était important de repartir de plus belle tout en osant ne pas se répéter. En cela, Fading Frontier est peut être la véritable suite à Halcyon Digest car il en reprend la veine la plus pop et rock catchy pour l’exacerber le long de neuf jolis titres. De All The Same à Carrion, Deerhunter déploie tout son talent à formuler des mélodies envoûtantes, des accords précieux et des refrains ravageurs.

Ne cherchez pas, vous ne trouverez plus ici les envolées psychédéliques de Cryptogram, la douce saturation du shoegaze de Microcastle et Weird Era Cont. ou encore les pérégrinations électroniques aventureuses de Halcyon Digest. Néanmoins la qualité du songwriting est indéniable et le quatuor de Boston rivalise avec les pointures de la pop sophistiquée, allumée et chatoyante de ces dernières années, de Phoenix à Tame Impala en passant par Arcade Fire, dans une veine plus expérimentale. D’ailleurs ce n’est pas comme si les quatre membres devenaient d’un coup prévisible et s’évertuaient à livrer des formules toutes faites. Breaker et Snakeskin se plaisent à débuter d’une manière et à se terminer d’une autre. Breaker se la joue mélancolique avant de nous envahir d’un sentiment de bien être étincelant lorsque son refrain arrive. Tandis que Snakeskin s’ouvre sur un rythme soutenu, un riff de guitare prenant mais émergent dans sa dernière ligne droite un instrument à vent obscur et une distorsion de cordes chamboulant nos repères. Deerhunter est un serpent malin et affûté, il mue mais ne se transforme pas en pauvre couleuvre ordinaire. Au contraire, du cobra royal qu’il était en 2011, il a su enfanter une vipère aux écailles et motifs similaires. Si elle n’a pas la grâce, la classe et l’inventivité d’antan, la musique des américains sait toujours autant marquer les esprits, voire plus, grâce à son format plus pop.

Efficace, Deerhunter l’est donc principalement sur ces neufs morceaux. Cela passe d’ailleurs par des structures musicales plus sages. On se souvient que Desire Lines en 2011 se transformait à mi-parcours en un labyrinthe psychédélique et coloré, mené tambour battant par un merveilleux jeu de guitare. Ici, ces moments se font plus rares, sont quelque peu sacrifiés au prix de mélodies fantastiques. All The Same, Living My Life ou Duplex Planet ne dépassent jamais leur programme de bijoux pop/rock, alignant couplets-refrains sans remords dans un format n’excédant pas les quatre minutes radiophoniques mais avec une aisance inouïe. Cependant, Deerhunter transcende ces titres a priori anodins par un songwriting toujours finement orchestré : Living My Life, certainement la meilleure des trois, se démarque par un fond électronique désuet, volontairement vintage mais offrant une atmosphère rêveuse.

Heureusement, dans sa deuxième partie, Fading Frontier explore d’avantage les bizarreries essaimées au compte-goutte dans les premiers morceaux. Cela passe notamment par l’occurrence d’un synthétiseur vieillot, d’une dématérialisation de l’acoustique en électronique des instruments, et d’une atmosphère plus troublante. Le même trouble annoncé dans le titre de l’album, Fading Frontier, frontière déclinante. Les titres s’allongent, la pop se dilue dans des tonalités nettement moins enjoués, plus mélancoliques. Take Care, Leather and Wood et Ad Astra prennent leur temps, se jouent sur un rythme atone, endormi – même si Snakeskin viendra surprendre l’auditeur-rêveur une ultime fois. Leather and Wood et sa folk abstraite, déstructuré, au bord du précipice, restera d’ailleurs comme un des moments forts de cet opus. Tandis que Carrion viendra offrir un dernier soubresaut pop mais imprégné de l’humeur mélancolique des derniers morceaux, et sonne comme le digne rejeton du Deerhunter de Halcyon Digest et celui du présent album. Un septième album brillant et solide donc, en forme de renaissance après un Monomania décevant, mais auquel il manque le grain de folie qui viendrait éclipser l’aspect lisse et sage de l’objet.

Note: ★★★½☆

Deerhunter-Fading-Frontier

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