Cela pourrait être la fin d’une trilogie ou le début d’une nouvelle aventure. Depuis Notre Histoire, Michel Cloup nous accompagne avec ses chansons intimes qui nous parlent aussi personnellement, qui font écho avec nos propres trajectoires, où il est question de deuil, d’absence, du couple, de la nuit. Après le départ de Patrice Cartier, son batteur et complice l’an dernier, le Toulousain a vite recruté un nouveau musicien, Julien Rufié, pour donner une suite à Minuit dans tes bras. Ici et là-bas part une nouvelle fois de l’histoire personnelle de son chanteur et de ses souvenirs, ses origines italiennes, vécues comme « une fierté, une fatalité », pour se faire l’écho du monde actuel, d’un pays où La classe ouvrière s’est enfuie, où les notions d’appartenance à une communauté se délitent. Mais n’allez surtout pas parler de chanson engagée à Michel Cloup ! Ses chansons ne se soumettent pas à la facilité des slogans vites récités, mais disent la colère de vivre à une époque qu’il « n’a jamais autant méprisée». « Un film doit faire l’effet d’un caillou dans une chaussure », disait Lars Von Trier. Si le nouvel album de Michel Cloup Duo n’est pas taillé que dans un bloc de ciment sec et rugueux, s’il réserve aussi quelques plages de douceur mélodique et d’apaisement, il n’en caresse pas pour autant l’auditeur dans le sens du poil et prononce des vérités qui ne font pas plaisir à entendre. Une fois encore, le Duo livre un disque essentiel et qui frappe très fort. Là où ça fait mal.

Entretien.

Michel, quelles questions sur l’avenir du groupe t’es-tu posées après le départ de Patrice Cartier ?

Michel Cloup : Je n’avais pas trop d’idées au départ. Je me suis en effet posé la question de savoir si ça allait continuer en duo ou pas. J’avais déjà commencé à réfléchir au nouvel album, j’avais quelques bribes de morceaux, des idées. J’ai croisé Julien comme souvent, car on répétait dans le même studio. Aujourd’hui, on partage le local, mais à l’époque, nous étions voisins. Je lui ai demandé si ça l’intéressait de jouer avec moi. Je l’avais vu jouer dans plusieurs projets différents, c’est intéressant, ça veut dire qu’il n’est pas figé dans un style musical. J’avais aussi entendu dire partout qu’il était très bon. Donc, je me suis dit que j’allais faire confiance aux gens autour de moi ! Le fait est que ça colle bien, que ça fonctionne entre nous en duo, je n’ai pas envisagé l’évolution vers un trio.

Julien Rufié : C’est en effet le hasard qui a voulu qu’on répète dans des locaux à côté, mais je connaissais déjà Patrice avant de connaître Michel. On avait travaillé tous les deux dans d’autres contextes. Quand il est parti du groupe, c’est la proximité qui a fait que Michel m’a demandé si ça me tentait de jouer avec lui. On a fait des essais qui se sont bien passé. On a commencé à travailler avec Michel sur le nouvel album en parallèle de la tournée qu’il terminait avec Patrice pour Minuit dans tes bras.

Julien, tu peux nous parler de ton parcours ?

J.R. : Je ne sais pas s’il y a grand chose à en dire ! Le groupe avec lequel j’ai commencé s’appelait The Despondents au milieu des années 90, un truc grungy, noise, vaguement punkoïde. On a fait plein de choses, c’était vraiment bien, mais comme on dit, « ça ne souffre pas la ré-écoute » (rires) ! Je suis content de l’avoir fait, car c’était une belle aventure humaine. On a fait beaucoup de concerts à une époque où c’était plus facile de jouer. J’ai ensuite travaillé dans des boulots alimentaires et des projets de rock qui n’ont jamais abouti. Dernièrement, je faisais beaucoup de metal, avec Eryn Non Dae, c’est mon projet passionnel.

Comment ça se passe quand on prend la place de quelqu’un dans un groupe ?

J.R. : Je connaissais le groupe depuis un moment, je l’avais déjà vu plusieurs fois en concert. Et puis musicalement, c’est du rock, et c’est ça que je joue aussi. On a beaucoup travaillé pour trouver nos marques. De janvier à juillet 2015, on a énormément répété, car l’album était programmé pour une sortie en avril 2016 et il fallait qu’on soit prêts pour l’enregistrement.

M.C. : C’est vrai qu’on a beaucoup répété. Au départ, chacun se découvre un peu, ça n’est pas forcément évident. On a commencé avec des anciens titres pour se tester, mais on s’est très rapidement focalisés sur les nouveaux morceaux. Je savais aussi pertinemment que changer de batteur, ça allait changer le projet. Je me disais que c’était aussi l’occasion d’évoluer vers autre chose avec une nouvelle personne. On est revenus sur les anciens titres plus tard quand il a fallu penser aux concerts et à la setlist. Mais c’est vraiment en jouant qu’on s’est aperçus qu’il y avait matière à explorer des registres différents, du rock, du groove, voire des choses plus expérimentales… Sauf le reggae, il n’est pas trop reggae (rires) !

Quand on écoute chacun de tes disques, on se rend compte qu’il a y toujours un fil rouge. Est-ce que c’est quelque chose qui est pensé au préalable ou qui vient au fur et à mesure ?

M.C : J’essaie de toujours me fixer un fil rouge depuis Notre Silence. J’essaie d’avoir une idée globale, une ligne directrice à la fois en termes d’écriture, de ce que je raconte, mais aussi musicalement. J’essaie d’aller au bout de cette idée en sachant qu’il y a toujours des choses en plus au final. Dans Notre silence, c’était l’idée d’épure, de minimalisme et de puissance à travers ce minimalisme. Sur Minuit dans tes bras, ça partait vers autre chose musicalement tout en étant sensiblement dans le même registre. Avec Ici et là-bas, je voulais revenir à des titres beaucoup plus courts, plus rythmés, rapides, retrouver une énergie qui était déjà présente sur les précédents disques, mais plus morcelée. On a voulu ouvrir des portes qui avaient déjà été ouvertes, mais pas complètement explorées, des choses très calmes, beaucoup plus mélodiques, expérimentales. J’avais en tête un disque plus long, d’un format double album avec une ligne musicale forte et des petits chemins qui partent de cette ligne pour en faire un disque plus diversifié, moins monolithique que les précédents, plus arrangé en termes de guitare, moins minimal. J’ai eu aussi envie de chanter plus encore. J’ai retrouvé le plaisir du chant et de la mélodie.

Et le fil rouge thématique de cet album, c’est les origines ?

M. C. : Oui, entre autres. Les origines avec une sorte de constat personnel et en parallèle quelque chose de plus ouvert, un retour au politique dans certains textes, chose que j’avais un peu abandonnée sur les deux précédents albums par rapport à Expérience. L’idée était de continuer d’aller plus loin dans une veine intime et personnelle tout en ouvrant plus largement sur le politique sans faire de la chanson engagée, car je n’aime pas tellement ça. C’est le politique en tant qu’ouverture au monde. Je ne voulais pas parler que de moi, mais aussi de ce que je voyais autour de moi, faire un constat.

Dans tes albums, il y a toujours ce côté narratif, qui fait penser à des gens comme Bill Callahan ou Mark Kozelek de Sun Kil Moon…

M. C. : Tu fais bien de les citer, car ce sont des gens que j’aime beaucoup . Je suis plus inspiré par eux que par les chanteurs français. Ce qui est important, c’est de raconter une histoire . Personnellement, j’aime qu’on me raconte des histoires, qu’il y ait une part de vérité en elles, être touché, m’identifier à la personne qui parle. Dans mes textes, je m’adresse souvent à quelqu’un, je m’imagine en train de lui chanter. Ça peut être une personne en rapport avec le texte ou en m’adressant à un auditeur. Je ne m’imagine pas tout seul chez moi en train de jouer un morceau, j’espère qu’il y aura au moins une personne qui va l’entendre (rires) ! Mais pour revenir à la chanson politique, j’écoutais ça dans les années 90, c’était les débuts du hip hop français, à l’époque où il y avait des choses qui me parlaient. Le rap, c’était le rock’n’roll des années 90, qui a beaucoup influencé un disque comme 3, de Diabologum. Les chanteurs engagés, ça ne m’intéresse pas du tout.

J. R. : C’est le côté revendicatif qui est gênant. On peut faire une chanson engagée sans être revendicatif. Les chanteurs que tu cites racontent une histoire située dans un environnement, un cadre et à travers leurs textes, on comprend ce qu’ils pensent et leur point de vue. C’est plus intelligent à mon sens que la chanson dite engagée.

M.C. : C’est ça que j’appelle la chanson engagée : ces gens qui arrivent sûrs d’eux mêmes avec un discours blanc/noir très simpliste. Les choses ne sont pas aussi simples, surtout aujourd’hui. Dans une chanson comme Nous qui n’arrivons plus à dire nous, je m’inclus complètement dans cette phrase. Il faut parfois dire les choses négatives, pas seulement embellir le discours. Il y a plein de gens qui me disent souvent : « Tes textes sont sombres et tu ne proposes aucune solution ». Je ne crois pas que ce soit le boulot de l’artiste de proposer des solutions, déjà que les hommes politiques n’y arrivent pas ! Les artistes sont là pour donner une vision, un regard sur le monde et au mieux, que ça procure une émotion ou que ça fasse réfléchir. Je dis souvent que si la musique changeait les choses, rien qu’avec Bob Dylan dans les années 60, on vivrait dans un monde merveilleux dans les années 2000 ! Malheureusement, ça n’est pas le cas…

Le clip de Nous qui n’arrivons plus à dire nous est un montage de différentes manifestations, que pensez-vous, tous les deux, du mouvement Nuit Debout ?

M.C. : Pour l’instant, je n’en pense pas grand-chose. À l’époque des Indignés, j’étais allé plusieurs fois au Capitole, j’étais assez enthousiaste. J’ai un peu déchanté parce que ça n’a pas conduit à grand-chose, ça tournait en rond même si ça partait d’un bon sentiment. Il n’est pas impossible que j’aille y faire un tour pour voir, mais je reste un peu méfiant.

J. R. : Je n’ai pas trop entendu ce que les gens qui ont commencé ce mouvement à Paris y mettent derrière. Est-ce une continuité des manifestations contre la loi travail ou quelque chose de plus général par rapport à l’ambiance du pays en ce moment ? C’est en tout cas une bonne alternative aux manifestations plus classiques avec le cortège, plus populaire également, en dehors des représentations politiques habituelles. Il faudra voir si ce mouvement va se structurer comme celui des Indignés qui a maintenant une représentativité politique en Espagne. Mais est-ce que le fait d’être confronté au pouvoir et au fait de prendre des positions ne va pas fragiliser le mouvement ? Il est facile de discuter dans la rue, mais quand on entre dans le concret, cela devient tout de suite plus difficile. C’est sans doute la limite.

Propos recueillis le 6 avril 2016 à Toulouse

Ici et là-bas, disponible (Ici d’ailleurs)

Note: ★★★★☆

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