Bleeder, le deuxième film inédit en France de Nicolas Winding Refn, est une déclaration d’amour et de violence au cinéma. 

Bleeder sonne presque comme un rappel à l’ordre de la véritable place qu’occupe son réalisateur, Nicolas Winding Refn, dans la cinéphilie mondiale.

Trois films américains (Drive, Only God Forgives et The Neon Demon) auront suffi à l’étiqueter comme un cinéaste plasticien majeur capable de livrer des objets de cinéma d’une grande force conceptuelle et visuelle.

On oublie un peu facilement quel cinéaste il fut dans sa période danoise. Un cinéaste de la rue à l’art brut, un cinéaste de l’urgence, presque aux antipodes de ce qu’il est devenu en apparence.

Bleeder est l’un des tous meilleurs films du cinéaste et s’inscrit comme un point de passage magnifique entre ces deux périodes qui construisent finalement une œuvre d’une grande cohérence.

On y retrouve tous les motifs du cinéaste. D’abord la peinture sociale d’un milieu, mais aussi la confrontation de la création et de la destruction, de l’amour et de la violence. On y retrouve également cette dialectique si personnelle transpercée par la brutalité et la virilité.

Le film aurait pu s’appeler « Une histoire de violence », « Reservoir dogs » ou « Nos funérailles ». Il sera Bleeder, littéralement « purgeur » en français.

Nicolas Winding Refn nous offre Bleeder comme une purge des maux qui sévissent au Danemark à l’orée des années 90 : la crise, le racisme, la drogue et le SIDA.

Le film est d’une grande noirceur mais se permet des fulgurances lumineuses ouvrant un espace pour l’espoir et les perspectives.

Le film s’ouvre sur une galerie de personnages présentés par leur prénom et leurs liens familiaux à la manière de Sergio Leone. Léo est marié à Louise. Lenny est l’ami de Léo et aime Léa qui ne le sait pas. Louis est le frère de Louise.

La séquence d’ouverture les présente chacun en train de marcher dans les rues de Copenhague. On scrute leurs démarches, leurs vêtements, leurs regards, leurs manières de se déplacer, à chaque fois sur un thème musical différent.

En quelques minutes, nous sommes avec les personnages et c’est là toute la force du cinéma de Refn. La mise en scène capture l’essence brute de son histoire et de ses protagonistes.

Léo et Louise sont donc mariés. Ils attendent un enfant qu’elle veut absolument garder et que lui se refuse à assumer. Il n’en veut pas car la société est dure à en crever.

Léo déambule avec Lenny (Mads Mikkelsen), gérant d’un vidéo club et leur bande de potes. Il gère tant bien que mal sa relation avec Louis, personnage trouble et raciste animé d’ultra violence.

De situation en situation, Léo va se retrouver confronter à lui-même jusqu’à l’irréparable.

Comment endiguer la violence, comment canaliser la propagation d’un mal incontrôlable ?

La réponse se trouve chez Lenny, l’alter ego de Nicolas Winding Refn, personnage taiseux qui trouve sa catharsis dans le cinéma.

Lenny peut réciter cent réalisateurs sans s’arrêter à l’un de ses clients recherchant un film à la manière de « La colline a des yeux ».

Son vidéo club est filmé par de longs travellings écumant la poussière d’or déposée sur les rayons de VHS. Il se terre dans les films de Kung Fu et les films gore pour éteindre le furieux tourbillon de la vie s’en remettant à l’addiction aux images plutôt qu’à l’aliénation moderne.

Mais ce vidéo club est aussi filmé comme l’intérieur d’un cercueil et Lenny doit croire qu’une autre vie est possible. C’est alors qu’il rencontre Léa.

Lenny et Léo incarnent donc deux lignes de fuite qui s’opposent. L’une vers la création et l’amour, l’autre vers la destruction et la violence. Il y a une grande part autobiographique dans la description de ces deux personnages que tout oppose, Nicolas Winding Refn ayant lui-même été confronté à de longs cycles toxiques dans son parcours de cinéaste.

Bleeder ne ressemble qu’à lui-même même s’il cite quelques références.

La plus évidente étant Chungking express de Wong Kar Wai, dont on retrouve une citation explicite dans un cinéma de quartier. Comme le film de Wong Kar Wai, Bleeder excelle dans la construction et la superposition d’histoires individuelles trouvant toute leur cohérence au sein de l’œuvre.

Le film excelle également dans son ambition de mise en scène. Les grands angles du cinémascope donnent une puissance indéniable aux images du cinéaste et magnifient un scénario déjà d’une grande densité.

Au moment où The Neon Demon sort en DVD/Blu Ray, on ne peut que remercier La Rabbia, son distributeur, pour l’initiative de cette sortie en salle en version restaurée 4K.

Bleeder est un joyau brut inclassable à l’image de son réalisateur.

Note: ★★★★★

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